L'alimentation utilisée comme une arme dans les pensionnats autochtones

Par Jade Owen

Le 2 juin 2015 la Commission de Vérité et Réconciliation du Canada a publié ses conclusions dans l'espoir d'apaiser les souffrances du douloureux héritage des pensionnats autochtones. Au-delà des abus avérés en matière d'atteinte physique et de maltraitance psychologique, l'insécurité alimentaire et la faim ont été des instruments d'oppression effroyables. 

Au-delà des abus avérés en matière d'atteinte physique et de maltraitance psychologique, l'insécurité alimentaire et la faim ont été des instruments d'oppression effroyables. Le rapport fait état d'une "vitalité des enfants insuffisamment pourvue en alimentation nutritive". Il est clairement précisé que “la nourriture est insuffisante pour satisfaire les besoins [développementaux]  des enfants” (Sommaire du rapport, p90). Dans certaines écoles, le fait que les écoliers en "étaient réduits à devoir acheter du pain pour compléter leurs repas... est révélateur de l’échec du gouvernement à fournir aux pensionnats les ressources nécessaires pour nourrir les élèves convenablement." (Sommaire du rapport, p91). Il a également été dit que "l’alimentation des élèves dans les pensionnats était loin de respecter les Règles alimentaires" (Sommaire du rapport, p91). De toute évidence, “aucun pensionnat n’a de félicitations à recevoir concernant l’alimentation des élèves” (Sommaire du rapport, p91) Les fonds alloués par élève étaient rarement suffisants, et les élèves devaient fournir un travail non rémunéré pour soutenir toutes les fonctions quotidiennes de l'école.

Ahousaht, Colombie-Britannique, élèves à la cafétéria de l’école. Archives de la Colombie-Britannique, PN-15589.

L'inspection d'une école a permis de constater que le “menu ne semble pas respecter la recommandation de deux portions de fruits par jour” (Sommaire du rapport, p92), et certains élèves ont eu recours au vol (justifié) ou à des faveurs illicites pour éviter une famine et une maladie imminentes. La perte culturelle à l’alimentation et aux aliments traditionnels dans les écoles "ajoutait au sentiment de désorientation des élèves." (Sommaire du rapport, p92). Lorsque les aliments méconnus rendaient les élèves malades, le personnel (qui, en revanche, se régalait) les forçait à manger leur propre vomi (Sommaire du rapport, p92).  Une survivante a été forcée de manger "du gruau contenant des vers" (Les survivants s’expriment, p79), et brutalement battue lorsqu'elle a refusé. Sous les prétendus soins du gouvernement fédéral, plus de 4000 enfants sont morts, et beaucoup d'autres ont été soumis au traumatisme permanent de la maltraitance et de la négligence sanctionnées par l'État. Lorsque les familles tentaient de protéger leurs enfants renonçant de les envoyer à l'école, les représentants du gouvernement refusaient de leur accorder leurs rations alimentaires et les paiements qui leur étaient dus en vertu des traités. (Sommaire du rapport, p118)

Le rapport reprend que "[l]e gouvernement fédéral avait décidé en toute connaissance de cause de ne pas verser suffisamment de fonds aux pensionnats pour faire en sorte que les cuisines et les salles à manger soient convenablement équipées… et, plus important encore, que la nourriture achetée soit en quantité et de qualité suffisantes pour des enfants en pleine croissance” (Sommaire du rapport, p93). Les élèves ont succombé à ce qui était une famine certainement évitable. Les élèves étant gravement sous-alimentés et mal nourris, les maladies sont également devenues une réalité inévitable. Il n'est pas surprenant que "l’épidémie de tuberculose dans les pensionnats s’inscrit dans la grande crise sanitaire qui frappe les peuples autochtones à cette époque. Cette crise trouve son origine dans les politiques de colonisation, lesquelles visent à exproprier les Autochtones de leurs terres, ce qui perturbe à la fois leur économie et leur approvisionnement alimentaire.” (Sommaire du rapport, p96) La dernière école n'a fermé ses portes qu'en 1996.

Élèves travaillant dans la cuisine à l’école de Cross Lake, au Manitoba, au début des années 1920. Archives de la Société historique de Saint-Boniface, Fonds de l’Archidiocèse de Keewatin-Le Pas, N1826.

Parmi ceux qui ont eu la chance de rentrer chez eux, de nombreux survivants ont parlé de leur incapacité à se réadapter à la vie et à la langue de la réserve. Beaucoup d'entre eux avaient "oublié le mode de vie et la nourriture traditionnels" (Les survivants s’expriment, p110). En raison d'une politique stricte d'acculturation et d'assimilation dans les pensionnats, les élèves ont été arrachés à leur identité et a leur patrimoine linguistique. Un survivant a partagé : "Je ne couds pas; je ne sais pas couper la viande de caribou; je ne peux pas couper la viande d’orignal, ni travailler le poisson, ni parler ma langue. J’ai donc commencé à m’éloigner de mes parents et de mes grands-parents; de tout quoi" (Les survivants s’expriment, p114). Trop souvent, "les anciens élèves qui retournaient dans les collectivités devaient réapprendre comment survivre. Et à cette époque, la survie était assurée par la pêche, la chasse et le piégeage...  personne ne me l’a montré" (Les survivants s’expriment, p114). Constamment puni et opprimé, le gouvernement canadien a presque réussi à effacer les peuples autochtones en tant qu’"entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales" (Sommaire du rapport, p1). Ce passé est bien documenté dans le livre primé de James Daschuk, La destruction des Indiens des Plaines, qui montre comment l’alimentation a été utilisée comme arme de colonisation, pour contrôler les peuples autochtones sous John A. MacDonald pendant la Confédération. Les rations étaient même utilisées pour forcer les chefs à se soumettre à des conditions de traité défavorables, qui, de toute façon, n'étaient souvent pas respectées :

“Lors de la négociation des traités, le gouvernement s’engage pourtant à fournir une assistance aux Premières Nations pour les aider à faire la transition de la chasse à l’agriculture. Néanmoins, cette aide promise, qui tarde à venir, s’avère inadéquate. La Loi sur les Indiens est si contraignante, que les agriculteurs autochtones ont peine à vendre leurs produits et à emprunter de l’argent pour investir dans les technologies. Qui plus est, les terres sur lesquelles se trouvent les réserves sont souvent impropres à l’agriculture. Dans les réserves, les logements sont misérables et surpeuplés, les installations sanitaires sont inadéquates, et les habitants n’ont qu’un accès restreint à l’eau potable. Il va sans dire que toutes ces conditions sont propices à l’éclosion de la tuberculose” (Sommaire du rapport, p96). 

Le Réseau pour une alimentation durable poursuit le travail sur ces questions en soulignant les niveaux inacceptables d'insécurité alimentaire parmi les Premières nations, les Métis et les Inuits, et en se concentrant notamment sur le besoin d'une révision complète de Nutrition Nord à travers notre campagne Je mange donc je vote de 2015.  Le tableau ci-dessous met en évidence certaines des similitudes entre les pratiques et le passé colonial du Canada à travers les pensionnats, et le programme Nutrition Nord d'aujourd'hui.

GOUVERNEMENT

L'ÉPOQUE DES PENSIONNATS

NUTRITION NORD CANADA

Conscient de la famine et de la faim

Politique de famine imposée

Aînés fouillant dans les poubelles pour trouver de la nourriture à Rankin Inlet; pénurie de provisions et nourriture abordable trop peu accessible.

Conscient des maladies évitables

Tuberculose; diminution du financement lié aux soins médicaux (médecins, vaccinations contre la variole).

Rachitisme; carence en vitamine D (en anglais); diabète; maladies cardiovasculaires

Fournissait des aliments de pauvre qualité

Les communautés ont été soumies à des régimes contenant de la viande malade et rejetée; de la farine de qualité inférieure et contaminée pour réduire les dépenses et maximiser les profits; les étudiants ont été nourris de restes et de "gruau avec des vers"

Aliments périmés ou pourris; aliments importés et transformés.

Versait des fonds insuffisants

Austérité; pas une priorité; fonds consacrés à l'expansion territoriale et les réseaux de transport

Pas une priorité; les communautés éligibles sont qualifiées comme non éligibles

Subventionnement d'aliments culturellement non pertinents et inadéquats du point de vue nutritionnel

Farine au lieu de protéines; produits à base de macaroni; assimilation aux « goûts des Blancs »

Panier de provisions nordique (Nutrition Nord Canada)

Législation interdisant le commerce intercommunautaire et l'achat d'aliments traditionnels

Interdiction de récolter, de vendre ou de troquer les aliments cultivés dans les réserves; statut de conservation de la faune et de la flore; interdiction de la cueillette.

Seuls les aliments traditionnels produits commercialement dans une installation inspectée par le gouvernement fédéral sont subventionnés; la plupart des aliments subventionnés ne sont pas achetés localement.

Aucune éducation sur les pratiques alimentaires traditionnelles

Les écoles ont été “purifiées” des traditions culturelles et des cérémonies

Pas de suivi auprès des promesses faites pour des activités d'éducation nutritionnelle. 

Absence totale de consultation auprès des communautés

Les communautés autochtones n'ont même pas eu le droit de vote avant l'année 1960

Aucune approche communautaire; les politiques ont été élaborées à Ottawa par une société de conseil basée à Ottawa.

Absence de transparence et de reddition de comptes

Les familles et les communautés autochtones sont privées de leurs droits et de leur citoyenneté.

Pas de vérification des audits de conformité des détaillants

Chômage et sous-emploi

Travail obligatoire pour obtenir des rations; exclusion d'une éducation comparable; éducation vers des emplois peu rémunérés et des travaux manuels dangereux

Ne subventionne pas les coopératives communautaires ou les organisations à but non lucratif