Pourquoi devrions-nous avoir une politique alimentaire fédérale au Canada?

Après plusieurs années de pressions politiques exercées par le Réseau pour une alimentation durable et d’autres organisations, le gouvernement Trudeau a donné pour mandat à Agriculture et Agroalimentaire Canada de diriger le processus d’élaboration d’une politique alimentaire nationale. Au cours des consultations en été 2017, près de 45 000 personnes ont fait part de leurs idées à propos de ce que devrait apporter une politique alimentaire. Dans le budget fédéral de 2019, une ligne budgétaire a enfin été établie pour la politique alimentaire avec 134 millions de dollars pour des initiatives spécifiques, ainsi qu’un engagement à créer un Programme de saine alimentation scolaire. La politique alimentaire fédérale sera annoncée prochainement.

 

Pourquoi avons-nous besoin d’une politique alimentaire nationale?

Pourquoi l’élaboration d’une politique alimentaire se retrouve-t-elle officiellement à l’ordre du jour du gouvernement?

Quelles décisions le gouvernement a-t-il déjà prises, et quelles sont les prochaines étapes?

Quelles idées ou propositions politiques concrètes ont déjà été formulées?

Pourquoi l’idée d’une politique alimentaire nationale a-t-elle été lancée?

Comment une politique nationale peut-elle s’harmoniser aux diverses approches provinciales, territoriales et municipales?

Comment la politique alimentaire nationale est-elle reliée aux autres promesses et consultations gouvernementales?

Comment puis-je prendre part au processus?



 


1. Pourquoi avons-nous besoin d’une politique alimentaire nationale?

Notre système alimentaire est incapable de résoudre un trop grand nombre de problèmes :

Insécurité alimentaire

  • Le Canada est un important exportateur agricole; or, quatre millions de Canadiens peinent à mettre des aliments sur leur table. Le taux d’insécurité alimentaire est deux fois plus élevé chez les populations autochtones, et la faim sévit de manière catastrophique dans certaines régions du Nord du Canada. (Prenez connaissance des observations faites par Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, lors de sa mission au Canada.)

Maladies chroniques reliées à l'alimentation

  • Malgré le fait que notre régime alimentaire comprend de plus en plus d’aliments hautement transformés contribuant à l’explosion de maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, diabète, obésité) — une situation qui risque d’engorger notre système de santé. La Stratégie canadienne en matière de saine alimentation serait un pas important dans la bonne direction, si pleinement mis en œuvre.

Bénéfices économiques

  • Nous importons 30 % de nos aliments, et ce, malgré le fait que nous savons que cultiver et transformer nous-mêmes nos aliments possèdent de nombreux avantages économiques, sans compter que cette mesure permettrait de répondre au désir des Canadiens de consommer des aliments frais locaux.

Souveraineté alimentaire autochtone

  • Au Canada, les aliments ont été instrumentalisés pour coloniser et opprimer les peuples autochtones, mais les aliments peuvent également mener à la réconciliation, pour autant que nous reconnaissions et soutenions les pratiques assurant la sécurité alimentaire des Autochtones.

Impacts environnementaux

  • Le prix de nos aliments ne tient pas compte des externalités environnementales et sanitaires avec lesquelles nous devrons composer tôt ou tard — tout bien considéré, ce hamburger n’est pas si bon marché qu’il y paraissait…

Pratiques agricoles industrielles versus à petite échelle

  • Nous soutenons les petits agriculteurs à l’étranger, mais dans notre pays, nos politiques encouragent délibérément et exclusivement les grosses exploitations industrielles.

Des cloisons et la vision systémique

  • Nous avons besoin d’une approche coordonnée de l’alimentation, guidée par une approche systémique mettant un terme aux cloisons existantes. Nous devons éviter le travail en vases clos, et décloisonner les différents secteurs (gouvernement, société civile, secteur privé) de manière à viser des objectifs communs permettant de mettre en place un système alimentaire qui n’est pas seulement économiquement viable, mais aussi juste et durable. Cela nécessitera de reconnaître que les aliments ne sont pas de simples biens de consommation, mais plutôt une facette fondamentale de nos réalités sociale, culturelle, historique et environnementale, et que ceux-ci ont un impact énorme sur la qualité de notre vie, à l’échelle individuelle et communautaire.

  • Une politique alimentaire nationale véritablement « cohérente » permettrait d’articuler un ensemble de valeurs et de principes servant de guides aux décisions politiques en matière d’alimentation. Elle définirait un mandat et un plan de mise en œuvre en se servant de tous les outils à la disposition du gouvernement fédéral (politiques, lois, réglementations, protocoles et directives en matière de réglementation, programmes, mécanismes éducationnels, accords en matière de commerce et d’investissement, ententes intergouvernementales, taxes ou allègements fiscaux). Pour que cette politique soit efficace, il faudrait en outre apporter des changements substantiels aux modalités du processus décisionnel, en permettant notamment à un plus grand nombre d’acteurs de faire entendre leur voix.

 

Qu’est-ce que l’approche systémique?

« L’élaboration d’une politique alimentaire constitue un sérieux défi pour les décideurs politiques, car… cela implique de mettre en interaction plusieurs systèmes politiques qui sont intellectuellement et constitutionnellement dissociés, en plus d’être répartis parmi différents ministères. » (Rod MacRae, A Joined Up Food Policy for Canada) En conséquence, nous avons besoin d’appliquer une approche systémique si nous voulons mettre en place une politique alimentaire nationale durable et équitable sans que cela compromette son efficacité ou sa compétitivité.

Nous tentons souvent de régler les problèmes sociétaux à l’aide de « solutions rapides », qui permettent de s’attaquer aux symptômes de ces derniers. Ces solutions peuvent ainsi ne pas avoir les retombées escomptées, car elles n’ont pas pris en compte les nombreux facteurs qui alimentent ces problèmes, ou ne se sont pas penchées sur leurs causes sous-jacentes. L’approche systémique se concentre sur les dynamiques et les boucles de rétroaction afin d’identifier les leviers les plus susceptibles d’engendrer le changement.

La mise en place d’un système alimentaire durable, sain et équitable nécessitera d’appliquer l’approche systémique afin d’analyser les causes sous-jacentes aux problèmes, d’explorer les solutions potentielles, et de les mettre à l’épreuve. Plutôt que de tenter de résoudre un par un les problèmes (par exemple, la faim, puis la santé), l’approche systémique étudie les relations s’instaurant entre les différentes composantes du système, puis coordonne les interventions sur les principaux leviers (par exemple, pourquoi les maladies chroniques sont-elles plus fréquentes au sein des groupes à faible revenu?).

 

Informations additionnelles :

Visionnez cette conférence TEDx sur la nécessité de mettre en place une politique alimentaire nationale.

Consultez l’article de David Peter Stroh et Kathleen Zurcher intitulé « Acting and Thinking Systemically ».

 



2. Pourquoi l’élaboration d’une politique alimentaire se retrouve-t-elle officiellement à l’ordre du jour du gouvernement?

Après avoir promis de rendre le gouvernement plus transparent et plus responsable, le premier ministre Justin Trudeau a publié les lettres de mandat envoyées à chacun de ses ministres en novembre 2015, et qui détaillent leurs priorités politiques respectives. La lettre de mandat adressée à Lawrence MacAulay, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, comprend l’engagement suivant :

« Plus particulièrement, je m’attends à ce que vous travailliez avec vos collègues et dans le respect des lois, règlements et processus du Cabinet établis pour mener à bien vos grandes priorités : […]

  • Élaborer une politique alimentaire qui fait la promotion d’un mode de vie sain et de la salubrité des aliments en mettant sur la table des familles du pays un plus grand nombre d’aliments sains de grande qualité produits par les agriculteurs et les éleveurs canadiens. »



Le Réseau pour une alimentation durable a envoyé une lettre ouverte au ministre MacAulay pour lui demander d’appliquer une approche pangouvernementale inclusive dans le cadre de l’élaboration de la politique alimentaire.

En octobre 2017, la lettre de mandat de Madame Ginette Petitpas Taylor, ministre de la Santé, invitait celle-ci à travailler en étroite collaboration avec le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire pour que la politique alimentaire suive les nouvelles initiatives de réglementation.

En mars 2019, Madame Marie-Claude Bibeau a été désignée Ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire. Le RAD lui a écrit, insistant sur l'importance que la première politique alimentaire pour le Canada contribue à un système alimentaire plus sain, juste et durable.

 

Informations additionnelles :

Une politique alimentaire au programme du nouveau gouvernement fédéral

 

3. Quelles décisions le gouvernement a-t-il déjà prises, et quelles sont les prochaines étapes?

Une politique alimentaire pour le Canada du gouvernement fédéral est en train de prendre forme autour de quatre piliers :

  • la sécurité alimentaire ;
  • la santé ;
  • l’environnement ; et
  • la croissance durable des secteurs agricole et alimentaire.

Bien qu’Agriculture et Agroalimentaire Canada joue un rôle de premier plan dans l’élaboration de la politique alimentaire nationale, une douzaine d’autres ministères sont impliqués dans ce dossier. Il existe par ailleurs une foule de mandats connexes qui seront pris en charge par ces autres ministères, incluant la révision du Guide alimentaire canadien, l’établissement du prochain cadre stratégique pour l’agriculture, et la réforme du programme Nutrition Nord Canada. Dans ce contexte, le défi consiste à s’assurer que tous les acteurs impliqués travailleront de concert plutôt que de poursuivre des objectifs distincts au sein de différentes circonscriptions.

En septembre 2018, le gouvernement a publié le rapport Ce que nous avons entendu suite aux consultations publiques qui ont eu lieu en 2017. Près de 45 000 personnes ont fait part de leurs idées à propos de ce que devrait apporter une politique alimentaire dans le cadre du sondage en ligne, et des centaines ont participé aux discussions en personne.

Le budget fédéral 2019 a dédié une ligne budgétaire pour la politique alimentaire avec 134 millions de dollars pour des initiatives spécifiques, ainsi qu’un engagement à créer un Programme de saine alimentation scolaire.

 

 

4. Quelles idées ou propositions politiques concrètes ont déjà été formulées?

« Les aliments occupent une place centrale au sein d’un très grand nombre de processus sociaux — l’économie, la santé, la cohésion et la justice sociales, l’intendance environnementale. Pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître, le Canada n’applique toujours pas d’approche coordonnée et intégrée pour gérer son système alimentaire. » – Rod MacRae

Différents acteurs du système alimentaire canadien ont demandé que la politique alimentaire soit davantage harmonisée, et ont élaboré des programmes partiels ou complets. En 2011, le Réseau pour une alimentation durable a publié un document intitulé Du pain sur la planche — Une politique alimentaire populaire pour le Canada, qui constitue le point culminant de trois années de travail de consultation auprès de 3 500 personnes. Toutes les propositions politiques réalisables contenues dans ce document, qui représente l’accomplissement en la matière le plus abouti jusqu’à présent, sont axées sur le concept de souveraineté alimentaire.

Durant la campagne électorale fédérale de 2015, le Réseau pour une alimentation durable a lancé la campagne Je mange donc je vote, qui demandait la mise en place d’une politique alimentaire nationale mettant l’accent sur certaines questions importantes : une saine alimentation scolaire, l’accès à des aliments abordables dans les communautés nordiques, un soutien aux nouveaux agriculteurs, et l’éradication de la faim au Canada. L’organisation de 68 événements à travers le Canada aura permis de rassembler 164 candidats aux élections et 4 461 participants; en outre, la radio, la télévision, les journaux et les médias sociaux auront permis de joindre des millions d’autres personnes. Depuis, cinq des candidats qui ont assisté à ces événements sont devenus ministres.

Les cinq grandes idées pour un meilleur système alimentaire sont une proposition du Réseau pour une alimentation durable pour la politique alimentaire nationale. Les organisations sont invitées à supporter cette plate-forme. 

 

Informations additionnelles :

 

5. Pourquoi l’idée d’une politique alimentaire nationale a-t-elle été lancée?

L’une des idées qui ont déjà été discutées consiste à créer un conseil de la politique alimentaire nationale qui, à titre d’instance de gouvernance inclusive et transparente, assurerait la mise en œuvre de la politique nationale convenue. D’autres idées ou solutions pourraient émerger du processus de consultation.

Dans un éditorial intitulé « Un conseil de la politique alimentaire pour le Canada », le Dr Rob MacRae explique comment fonctionnent ce type de conseils déjà en place dans nombre de municipalités et de provinces du pays. Il y énumère en outre les raisons de considérer la mise en place d’un conseil national dans le cadre du processus d’élaboration menant à la future politique alimentaire.

« Un conseil de la politique alimentaire constitue un lieu où les parties prenantes, qui ont normalement peu d’occasions de se parler, peuvent se rassembler pour proposer des solutions aux problèmes chroniques qui affectent le système alimentaire. »

En 2017, le rapport Pourquoi créer un Conseil national de politique alimentaire a été préparé à la demande d’un réseau officieux d’organismes du secteur alimentaire, du secteur agricole, de la société civile et des secteurs de bienfaisance et universitaire qui s’intéressent à la politique alimentaire nationale, organisé par l’Arrell Food Institute à l’Université de Guelph, la Fédération canadienne de l'agriculture, le Réseau pour une alimentation durable (Food Secure Canada), les Aliments Maple Leaf et La fondation de la famille J.W. McConnell. Consultez la lettre envoyée au ministre MacAuley et le communiqué de presse conjoint.

En mars 2019, le groupe multipartite pour la gouvernance de la politique a écrit à la nouvelle Ministre de l'Agriculture Marie-Claude Bibeau pour réitérer leur recommandation.

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6. Comment une politique nationale peut-elle s’harmoniser aux diverses approches provinciales, territoriales et municipales?

Voici sans doute de l’un des plus importants défis : faire en sorte d’obtenir une politique nationale cohérente, utile et ambitieuse qui parallèlement, respecte les autres compétences et tient compte de manière inhérente de la diversité des expériences, des besoins et des aspirations des différentes localités. Actuellement, le contexte canadien est constitué d’un ensemble disparate de politiques et de stratégies alimentaires provinciales, territoriales et municipales. L’un des objectifs du Réseau pour une alimentation durable consistera à mettre en lumière les innovations et les pratiques d’excellences relevées aux paliers municipaux et provinciaux, et qui sont susceptibles d’alimenter la politique nationale.

Un autre objectif consiste à tenir compte de la distance qui sépare les aliments de ceux qui les consomment, de manière à éviter l’application universelle d’une politique unique. Pour ce faire, nous devons promouvoir l’innovation locale et le dynamisme régional, en plus de maximiser le nombre d’emplois créés et les retombées positives sur les plans de la santé et de l’environnement. De la sorte, les solutions politiques différeront d’un endroit à l’autre à travers le pays. Néanmoins, les objectifs et les principes qui régiront l’ensemble de ce système doivent être débattus, adoptés et appliqués.

Les accords internationaux en matière de commerce et d’investissement de même que les politiques canadiennes d’aide internationale relèvent tous de la compétence du gouvernement fédéral.  



7. Comment la politique alimentaire nationale est-elle reliée aux autres promesses et consultations gouvernementales?

Pour le mouvement alimentaire, le principal défi consiste à obtenir les résultats les plus cohérents dans le cadre du processus dirigé par Agriculture et Agroalimentaire Canada qui mènera à la politique alimentaire nationale. Pour atteindre cet objectif, il est cependant important de tenir compte des autres consultations et projets de révision de politiques qui sont en cours au gouvernement fédéral.

Parmi les consultations portant sur les divers aspects de la politique alimentaire qui se sont récemment conclues ou qui ont actuellement cours, le Réseau pour une alimentation durable a activement participé aux trois dossiers suivants :

Dans leur ensemble, ces projets de révision de politiques peuvent nourrir la future politique alimentaire nationale; cependant, il demeure nécessaire de tabler sur une vision cohérente, et de définir conjointement un ensemble de principes et de priorités.

 

8. Comment puis-je prendre part au processus?

Afin d’obtenir la meilleure politique alimentaire nationale possible, nous avons besoin de la participation active d'un plus grand nombre de membres qui appuient notre travail. Grâce à nos bulletins d’information, nos webinaires et nos téléconférences, nos membres peuvent rester informés et prendre part à notre travail et à nos activités. 

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