Travailler ensemble pour construire des systèmes alimentaires durables : un point de vue du Québec
30 AVRIL 2020 –
Par Nancy Neamtan
Alors que nous commençons à planifier la fin progressive du confinement, de nombreuses voix s’élèvent pour proposer des stratégies et des priorités pour les années à venir. Pourtant, trop de solutions traditionnelles pour la reprise surgissent comme de vieux réflexes à un moment où de nouvelles réflexions et de nouvelles approches sont plus importantes que jamais. Au Québec, où la crise frappe particulièrement fort, une discussion s'est engagée sur la nécessité de repenser non seulement la façon dont nous prenons soin des victimes de cette pandémie, mais aussi la façon dont nous pouvons devenir plus autonomes dans la production des produits de première nécessité, notamment la nourriture. Avec un secteur agricole dynamique et un large soutien pour une alimentation locale et durable, le Québec nous offre des leçons intéressantes alors que nous travaillons non seulement à la relance, mais aussi à la construction d'un meilleur système alimentaire pour tous.
Un large soutien à l'achat local
La promotion de l'achat local est plus que jamais d'actualité au Québec, le premier ministre ayant annoncé la création du Panier Bleu, , un site dédié à encourager les consommateurs à acheter local. D'autres outils en ligne permettant d'acheter des produits locaux ont également été mis en place, notamment le récent lancement de Ma Zone Québec, et la campagne lancée par l'UPA pour manger local (Manger local plus que jamais). Parallèlement, les petits producteurs et les marchés agricoles ont innové pour atteindre les clients par le biais de commandes en ligne.
Plateformes pour commander des aliments locaux en ligne.
Renforcer la production locale
Face aux difficultés potentielles d'importation de certains produits alimentaires, les limites de la production alimentaire locale ont également été mises en évidence. Avec l'abondance de l'hydroélectricité au Québec, le gouvernement évoque la possibilité de l’utiliser comme levier pour encourager l'agriculture urbaine et périurbaine dans des serres afin de prolonger la saison de production.
Répondre à l'insécurité alimentaire aujourd'hui et demain
L'un des principaux défis auxquels nous sommes tous confrontés est celui de l'accès à une alimentation saine. Cet enjeu n'est pas nouveau, mais la crise de la COVID l'a placé au premier plan. Par exemple, en guise d'argument en faveur du déconfinement, les experts de la santé publique citent le fait que de nombreux enfants souffrent de la faim parce qu'ils n'ont pas accès aux programmes alimentaires scolaires pendant les fermetures d'écoles. Il s'agit d'un exemple éloquent qui montre que la question de la sécurité alimentaire n'est pas nouvelle, mais simplement exacerbée par la crise.
Entre-temps, au Québec, une diversité d'initiatives locales ont vu le jour pour répondre aux besoins des différentes communautés. Sur le terrain, des innovations dans la production et la distribution de nourriture sont rapidement mises en place, avec des organisations alimentaires scolaires comme La Cantine pour tous qui ont modifié leur offre de service pour se concentrer sur la production et la distribution de repas aux personnes dans le besoin. Bien que la plupart de ces actions répondent à un besoin urgent de sécurité alimentaire basé principalement sur un modèle charitable, ces partenariats intersectoriels jettent les bases d'autres modèles pour nos systèmes alimentaires, ancrés dans l'action collective et privilégiant les gens, les lieux et la planète plutôt que les profits dans la production, la transformation et la distribution des aliments.
La nécessité de travailler de manière transversale
Comme Winston Churchill et beaucoup d'autres l'ont souligné depuis, il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. Comment faire en sorte de ne pas "gaspiller" cette crise, mais plutôt d'en tirer des leçons et de faire en sorte qu'elles deviennent un moteur pour faire les choses différemment et mieux ? Comment faire en sorte que la reprise nous incite à travailler ensemble de manière significative, à mettre en œuvre de nouvelles solutions innovantes pour répondre aux besoins fondamentaux, et notamment l'accès à une alimentation saine et durable pour tous ? Si les solutions résident dans une multiplicité d'initiatives impliquant un large éventail de partenaires, ces initiatives ne peuvent atteindre leur plein potentiel que si nous évitons une approche cloisonnée et si nous tissons ensemble une stratégie plus large de changements systémiques. Nous devons non seulement collaborer à court terme, mais aussi trouver des moyens de construire ou de renforcer les systèmes alimentaires locaux en travaillant ensemble à différents niveaux.
Comment faire en sorte de ne pas " gaspiller " cette crise, mais plutôt d'en tirer des leçons et de faire en sorte qu'elles deviennent un moteur pour faire autrement et mieux ?
L’action collective nécessaire pour un changement durable
Au Québec, le Chantier de l'économie sociale est un organisme national voué à la promotion et au développement de l'entrepreneuriat collectif comme composante d'un nouveau modèle de développement. Le Chantier a lancé une vaste campagne visant à identifier des solutions collectives aux défis auxquels nous sommes confrontés, notamment la sécurité et la souveraineté alimentaires. Un appel à idées et à propositions sur la façon dont l'action collective peut relever ces défis a été lancé. Des discussions ont été entamées avec des organisations telles que La Cantine pour tous, le Conseil Système Alimentaire Montréalais, et d'autres afin d'établir un consensus autour des propositions et initiatives à privilégier dans la période à venir. Une collaboration continue avec le Réseau d’alimentation durable ouvre la porte à une collaboration interprovinciale et à un renforcement mutuel, ainsi qu'à la création d'une voix unie dans les discussions avec le gouvernement du Canada sur l'avenir de sa politique alimentaire.
Depuis de nombreuses années, le mouvement alimentaire au Québec, comme au Canada et dans le monde entier, demande aux gouvernements d'adopter des politiques qui renforcent la sécurité et l'autonomie alimentaires. Il s'est exprimé sur les questions de la faim, de la malnutrition, du manque d'accès à une alimentation saine, des pratiques agricoles non durables et de nombreux autres problèmes liés au secteur alimentaire. Par exemple, la situation dans de trop nombreuses communautés autochtones reste inacceptable, près de la moitié des ménages ayant des difficultés à mettre de la nourriture sur la table, selon une étude réalisée sur dix ans et publiée en novembre dernier. La crise de la COVID-19 a mis ces questions au premier plan et a fait prendre conscience de la pertinence des solutions qui ont été avancées par le passé, qu'il s'agisse d'un programme universel d’alimentation scolaire négocié avec les provinces ou de davantage d'achats locaux.
Nous devons nous assurer, en nous réunissant de manière stratégique, qu'ils disposent des conditions, des outils et de la reconnaissance nécessaires pour continuer à jouer un rôle essentiel dans la reconstruction de l'ère post-COVID.
Il est maintenant temps de s'unir et de créer les conditions, par le biais de politiques publiques et d'actions collectives, pour l'émergence et la consolidation de systèmes alimentaires locaux. De cette crise peut émerger un espoir, mais rien ne se produira de lui-même. Nous devons travailler plus dur et mieux ensemble. Dans les communautés de toutes les régions du pays, les citoyens et les organisations renforcent les bases de notre réussite. Nous devons nous assurer, en nous réunissant de manière stratégique, qu'ils disposent des conditions, des outils et de la reconnaissance nécessaires pour continuer à jouer un rôle essentiel dans la reconstruction de l'ère post-COVID.
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NANCY NEAMTAN est membre du conseil d'administration du Réseau pour une alimentation durable. Elle est conseillère stratégique pour le Chantier de l'économie sociale et pour TIESS (Territoires innovants en économie sociale et solidaire), un centre de liaison et de transfert de l'innovation sociale. Elle a été l'une des fondatrices du Chantier de l'économie sociale et sa directrice générale de 1996 à 2015.