Une étude sur la sûreté du maïs génétiquement modifié lance un défi aux principaux acteurs du secteur alimentaire

Lucy Sharratt, coordonnatrice, Réseau canadien d’action sur les biotechnologies http://rcab.ca/, coordinator@cban.ca

La publication d’une étude sans précédent portant sur la sûreté des aliments génétiquement modifiés (GM ou transgéniques) a déclenché une controverse internationale qui ne fait que commencer. La crédibilité de cette étude, qui constitue la première étude sur le maïs GM effectuée sur l’ensemble de l’espérance de vie des rats de laboratoire, est mise en doute et ses résultats sont contestés. Bien que les débats et les études de suivis constituent des éléments incontournables du processus scientifique, les réfutations concertées provenant d’« experts » et les campagnes de diffamation constituent quant à elles des réactions prévisibles de la part d’une industrie biotechnologique sur la défensive.

Le travail consistant à distinguer les questions scientifiques légitimes des arguments servant à faire diversion[i] suit son cours[ii]. Pendant ce temps, la nouvelle étude met en lumière un problème de longue date en matière de réglementation gouvernementale des organismes génétiquement modifiés (OGM), en plus de soulever de manière légitime la question de la sûreté des aliments GM.

Menée par le biologiste moléculaire et endocrinologue Gilles-Éric Séralini, professeur à l’Université de Caen (France), une équipe de chercheurs français a publié une étude de deux ans portant sur le maïs NK603 de Monsanto, un OGM résistant aux herbicides. Les chercheurs ont étudié les effets chez le rat de la consommation de ce maïs GM (en présence et absence de l’herbicide Roundup commercialisé par Monsanto) et du Roundup seul. L’expérience d’alimentation a été menée durant la totalité de l’espérance de vie des rats de laboratoire et a indiqué la présence d’effets indésirables sur leur santé après que la période de 90 jours à laquelle sont limitées la plupart des études similaires se soit écoulée. Les chercheurs ont observé des tumeurs mammaires de même que des dommages aux reins et au foie causant prématurément la mort des rats. L’étude a été publiée dans Food and Chemical Toxicology, un journal qui impose un processus d’évaluation par les pairs aux articles qui lui sont soumis. Il s’agit du même journal qui avait publié en 2004 les résultats d’un test de 90 jours effectués par Monsanto sur son propre maïs GM NK603 (les études de Monsanto et de Séralini et ses collaborateurs ont employé le même type de rats et le même effectif[iii]).

Santé Canada a approuvé le maïs NK603 en 2001, et le trait génétiquement modifié de résistance à l’herbicide Roundup (Roundup Ready) qu’il contient fait partie du bagage génétique de plusieurs hybrides de maïs GM actuellement vendus au Canada. Il faut toutefois noter que ce trait ne fait pas encore partie du bagage génétique du nouveau maïs sucré GM, qui est apparu pour la première fois sur le marché lors de la saison de culture de 2012. Les cultures Roundup Ready constituent les cultures GM les plus répandues dans le monde et le Roundup est le pesticide le plus vendu sur la planète.

La nouvelle étude de Séralini et ses collaborateurs suggère que certains effets indésirables sur la santé peuvent ne pas être détectés dans le cadre des expériences d’alimentation qui sont limitées à 90 jours. Elle suggère également que les organismes de réglementation gouvernementaux tels que Santé Canada doivent exiger la tenue d’expériences alimentaires et s’assurer que la durée de celles-ci est suffisante pour pouvoir déceler d’éventuels effets chroniques sur la santé. Actuellement, Santé Canada ne fait ni un ni l’autre. En fait, non seulement Santé Canada n’exige pas la tenue d’expériences alimentaires animales afin d’évaluer l’innocuité d’un nouvel aliment GM, mais toutes les données soumises à ce ministère proviennent du requérant lui-même et sont classées à titre d’« informations commerciales confidentielles ». Le feu vert que Santé Canada a donné à ce maïs illustre parfaitement ce problème fondamental, problème d’ailleurs exposé par l’étude de Séralini et ses collaborateurs.

Santé Canada n’a elle-même effectué aucun test sur la lignée 603 du maïs GM Roundup Ready de Monsanto (ni sur aucun autre aliment GM d’ailleurs), mais a toutefois approuvé sa consommation par l’humain en se fondant sur des données soumises par l’entreprise elle-même. Nous ne trouvons aucune référence à une quelconque expérience alimentaire dans le document de trois pages résumant la décision de Santé Canada – en fait, l’expérience alimentaire de 90 jours effectuée par Monsanto a été publiée trois ans plus tard, soit en 2004. Santé Canada mentionne plutôt une étude de gavage au cours de laquelle des souris ont été forcées d’ingérer une forte dose de la protéine, purifiée et seule, codée par le gène modifié de résistance au Roundup.

Il est ironique de constater qu’au cours de la même année où Santé Canada approuvait ce maïs GM, le Groupe d’experts sur l’avenir de la biotechnologie alimentaire de la Société royale du Canada (mandaté par le gouvernement) publiait 58 recommandations visant la réforme du système d’approbation des OGM. Le Groupe d’experts a recommandé que la conception et la réalisation de tous les tests destinés aux nouveaux OGM soient menées en consultation ouverte avec des experts de la communauté scientifique, et que l’analyse des résultats de ces tests soit supervisée par un groupe d’experts indépendants issus de tous les secteurs et publiée sur un forum public (inutile de mentionner que ces recommandations n’ont jamais été mises en œuvre[iv]). Ce qui manque cruellement maintenant, c’est une évaluation indépendante des travaux de Séralini et ses collaborateurs.

Les gouvernements de la France et de l’Allemagne sont en train d’effectuer une revue de l’étude de Séralini et ses collaborateurs au sein du ministère de l’Agriculture de la France et ont déjà indiqué que l’Europe devait revoir sa manière de réglementer les aliments GM. Pendant ce temps, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) doit émettre une première opinion sur l’étude cette semaine. Cependant, à l’instar de Santé Canada, l’EFSA a elle aussi approuvé le maïs NK603 et il est peu probable qu’elle veuille contredire sa précédente décision, faisant ainsi aveu de négligence. Santé Canada a pour sa part indiqué qu’elle réviserait l’étude et qu’elle prendrait des « mesures appropriées » s’il advenait qu’elle décèle un risque démontré pour les Canadiens. La démonstration d’éventuels risques reste toutefois difficile et reproduire l’étude de l’équipe de Séralini est une chose qui, à elle seule, prendrait deux ans. Que faire alors? Heureusement, les questions les plus complexes soulevées par les manipulations génétiques ont déjà été examinées dans la Politique alimentaire populaire, qui recommande que « les cultures GM existantes soient graduellement éliminées et que les cultures ou les animaux GM ne soient plus approuvés. »

 


[i] E. Ann Clark, Intentional Disinformation about Seralini et al. (2012), 27 septembre 2012 (en anglais seulement).

[ii] Pour connaître la réponse de l’équipe de Séralini à différentes critiques émises sur son article, veuillez consulter le http://www.criigen.org/SiteEn/index.php?option=com_content&task=view&id=368&Itemid=1 (en anglais seulement).

[iii] Pour consulter différentes réfutations spécifiques répondant à certaines critiques sur l’étude de Séralini et ses collaborateurs émises par le Sustainable Food Trust, rendez-vous à http://research.sustainablefoodtrust.org/wp-content/uploads/2012/09/Resp... (en anglais seulement).

[iv]Andrée, Peter et Sharratt, Lucy. Genetically Modified Organisms and Precaution: Is the Canadian Government Implementing the Royal Society of Canada's Recommendations? Octobre 2004 : http://www.cban.ca/Resources/Topics/Regulation-and-Policy (en anglais seulement).