L’accord économique et commercial global de principe avec l’UE (AECG)

Un document préparé par Stuart Clark avec l’aide de Sophia Murphy – Nov 2013

 

L’agriculture dans l’AECG
 

Les négociations pour un traité d’investissement et de commerce entre le Canada et l’Union européenne ont commencé en 2009. Les progrès sur le traité ont été très lents jusqu’à l’année dernière lorsque les deux parties ont décidé pour leurs propres raisons que le traité servirait leurs intérêts. Les dispositions du projet de traité sont vastes et  comprennent l’ouverture du marché canadien des services (banques, assurances, etc.) et l’établissement du droit des entreprises européennes de poursuivre en dommages-intérêts si de nouvelles lois ou réglementations sur l’environnement ou la santé réduisent leurs profits. L’agriculture est une petite mais importante partie de l’accord et est liée à plusieurs autres aspects de celui-ci.

Dans le cas du Canada, il y avait des efforts de lobbying importants en faveur de l'achèvement des négociations déployés par certains groupes agricoles canadiens, notamment l'Association canadienne des éleveurs de bovins basée dans l’Ouest du Canada (voir ci-dessous). Inversement, certains groupes d'agriculteurs, notamment ceux des secteurs à offre réglementée (produits laitiers, œufs, volaille), étaient très inquiets que tout nouveau traité porterait atteinte à la prévisibilité de leur marché canadien, un élément clé de la grande réussite de ce système de commercialisation. Le texte complet de l’accord de principe récemment annoncé n’est pas encore disponible. Cependant, le gouvernement a publié quelques détails techniques. Ce document est basé sur cela et sur d’autres informations disponibles.

 

Impacts sur la gestion des approvisionnements

(Crédit Photo: Flickr)

Malgré son soutien ferme à la libéralisation du commerce, le gouvernement canadien a continué à déclarer son engagement à protéger les secteurs agricoles soumis à la gestion  de l'offre au Canada. Cela est compréhensible étant donné la forte présence des producteurs de lait, d’œufs et de volaille dans les provinces politiquement importantes de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Québec.

Les concessions accordées en vertu de l'AECG reflètent ces engagements. Les marchés canadiens d’œufs et de volailles, qui sont de peu d'intérêt pour les agriculteurs européens, ont été entièrement exclus de l'accord. Les produits laitiers, et en particulier le fromage, la partie la plus élevée de la valeur de marché des produits laitiers, étaient d’un intérêt beaucoup plus grand. Ce fut le domaine dans lequel le Canada a fait des concessions importantes.

Actuellement, le Canada laisse entrer environ 21 000 tonnes de fromage étranger sur le marché canadien (un estimé de 5% du total). En vertu de l’AECG, l'Europe serait autorisée à exporter 18.500 tonnes supplémentaires de fromage au Canada, augmentant ainsi les importations à 9% de la consommation totale de fromage. Il s'agit d’un accroissement très important qui sera certainement ressenti à la fois par les producteurs canadiens de fromage et les producteurs canadiens de lait qui les approvisionnent. Les coûteux fromages fins devraient être les plus touchés, mais on ne sait pas clairement si les nouvelles importations européennes vont élargir le marché canadien ou remplacer simplement des producteurs du pays ou les deux. L'investissement substantiel réalisé par les petits producteurs de fromages de spécialité est certainement menacé.

Il est important de noter que le système de gestion de l'offre du Canada repose sur la sécurité de nos producteurs laitiers, de volaille et d’œufs. Toutes les politiques commerciales qui réduisent cette sécurité minent ce système. Les concessions faites en vertu de l’AECG pourraient offrir de nouvelles ouvertures pour saper ce système dans les futurs accords (par exemple le Partenariat trans-pacifique - TPP).

 

Bœuf et hormones

L’Association canadienne des éleveurs de bovins a été l'un des plus forts partisans agricoles de l'AECG. L'industrie canadienne de la viande bovine (agriculteurs et transformateurs) a eu très peu d'accès pratique au marché hautement protégé de la viande bovine européenne. Les importations totales de viande bovine en provenance de toutes les sources sur le marché européen représentent beaucoup moins que 1% de la consommation totale de l'Europe (8 millions de tonnes par an). En effet, Les droits d'importation représentent jusqu’à 140%. Les Européens ont également rejeté la viande bovine traitée avec des hormones de croissance et d’autres facteurs de croissance (qui sont couramment utilisés par les producteurs canadiens). 

Il y avait peu d'incitation pour les producteurs canadiens de viande bovine de percer ce marché jusqu'à présent.  Avec l’entrée en vigueur de l'AECG, l’accès de la viande bovine du Canada en franchise de droits au marché de l'UE passera de 3 200 tonnes à 37 500 tonnes, une augmentation substantielle. Cependant, l'Europe continuera d'appliquer sa directive contre l'utilisation de facteurs de croissance (hormones et bêta-agonistes) et d’exiger des changements dans l'abattage au Canada. L'attente de certains analystes, est que la création d'un marché européen de l'exportation va créer les incitations nécessaires pour que de nombreux producteurs cessent d'utiliser ces produits chimiques. Avec la décision prise par certains établissements de restauration rapide au Canada d’offrir la viande de bœuf sans hormones, cela devrait être considéré par les groupes de consommateurs et de  santé comme une évolution positive.
 

Cultures génétiquement modifiées

Il n'y a aucune disposition qui autorise spécifiquement le commerce des denrées alimentaires génétiquement modifiées. L'UE et le Canada entretiennent une tolérance zéro pour les importations d'aliments génétiquement modifiés qui n'ont pas été approuvés par les organismes de réglementation nationaux respectifs. Tandis que les cultures alimentaires génétiquement modifiées ne sont pas incluses dans les dispositions de l'AECG, le groupe industriel canadien de pesticides et de biotechnologie,  CropLife Canada, a célébré l'accord. Concrètement, outre les possibilités d'exportation accrues pour les céréales et oléagineux canadiens en général, ils y ont vu un gain. Selon CropLife Canada, l'AECG établit un groupe de travail sur la biotechnologie afin de raccourcir les délais pour l'approbation d’organismes génétiquement modifiées à des fins de culture dans l'UE , renforcer la réglementation fondée sur des principes scientifiques  et réviser la politique de «présence de faible quantité d’OGM» dans les produits non-OGM importés.

Bien qu'il semble quelque peu avantager l'industrie canadienne de la biotechnologie, l'AECG pourrait maintenir la pression pro-OGM sur le processus réglementaire de l'UE. L'étiquetage des aliments contenant des OGM et des ingrédients alimentaires dans l'UE et la résistance des consommateurs aux OGM devraient continuer à garder ces produits hors du système alimentaire de l'UE. Il est à noter que le soja génétiquement modifié canadien est déjà largement utilisé dans l'alimentation animale dans l'UE.

 

Les marchés publics

Les marchés publics, en particulier les achats locaux pour les écoles et autres institutions publiques, sont considérés par les agriculteurs comme un important canal de commercialisation alternatif, ouvrant des possibilités en dehors des chaînes d'approvisionnement centralisées dominantes contrôlées par les supermarchés. En général, le but de l'AECG (et d'autres récents accords commerciaux bilatéraux) est de donner «à l'autre partie» le droit de soumissionner pour fournir des biens ou des services achetés par les gouvernements. Pour la première fois, ces dispositions d'accès au marché doivent être appliquées à tous les niveaux de gouvernement, y compris les universités, les prisons, les écoles et les hôpitaux. En principe, cela pourrait être une menace pour l'approvisionnement local en aliments ou services alimentaires des gouvernements municipaux ou provinciaux ou des institutions universitaires.

Toutefois, selon le Résumé technique fourni par le gouvernement fédéral, l'AECG contient certaines restrictions : 

  • Les marchés publics ne s'appliquent qu'aux contrats d'une valeur de plus de 315 000 $ (gouvernements provinciaux et municipaux, universités, commissions scolaires et hôpitaux) et 205 000 $ (gouvernement fédéral).
  • Il exclut spécifiquement tous les achats de produits agricoles pour les «programmes alimentaires». Son contenu n'est pas clair.
  • Il exclut les concessions publiques / privées pour la prestation de services. Cela pourrait s'appliquer aux services alimentaires et de la restauration.
  • Il exclut les programmes de développement économique régional dans plusieurs provinces et tous les territoires, sauf s’ils sont financés par le gouvernement fédéral. Le financement fédéral est courant, en particulier dans les territoires.

En bref, l'AECG ne semble pas éliminer la possibilité d'utiliser les marchés publics plus petits pour développer les systèmes alimentaires locaux, mais il limite sérieusement le potentiel de certains grands projets.

 

Vos commentaires sur ce document doivent être adressés à Abra Brynne - abra@foodsecurecanada.org.