Le dimanche de la moisson des solutions à la Tablée des Idées — Faits saillants de la journée
Y a-t-il une meilleure manière de célébrer l’édition 2016 de la Journée mondiale de l’alimentation que d’entendre la Dre Carolyn Bennett, ministre des Affaires autochtones et du Nord, affirmer devant le mouvement alimentaire canadien que le programme Nutrition Nord Canada doit être « révisé de fond en comble », et que l’élaboration de la nouvelle politique alimentaire nationale exige une « approche pangouvernementale globale »? Le discours d’ouverture qu’elle a livré lors de la séance plénière du dimanche compte parmi les faits saillants du programme chargé de cette journée marquée par la présence majoritaire de femmes autochtones.
Avant de donner le coup d’envoi de la dernière séance plénière, l’assemblée a rendu hommage aux lauréates du prix Cathleen Kneen, du nom de l’une des fondatrices du Réseau pour une alimentation durable (RAD). La présentation des lauréates a été faite par son veuf, Brewster Kneen, un militant qui a également été son partenaire sur leur ferme de moutons. Abra Brynne et Norma Kassi, les lauréates pour 2016, sont deux femmes qui font montre d’un leadership exceptionnel, en plus d’incarner l’esprit du mouvement alimentaire au sein de leurs communautés et territoires.
Intitulée Reconstruire le système alimentaire que nous voulons, la séance plénière qui a eu lieu dimanche avant-midi a clôturé l’assemblée d’une manière fructueuse, riche en émotions et puissante, tout en conservant l’accent sur la souveraineté alimentaire des Autochtones. Outre la ministre Bennett, huit autres femmes ayant des rôles de meneuses ont partagé leurs impressions et leurs idées sur la manière dont le mouvement alimentaire peut progresser en tirant profit des intenses travaux de ces quatre jours d’assemblée.
C’est Diana Bronson du RAD qui a présidé la séance plénière; dans un gazouillis diffusé sur Twitter, la ministre Bennett l’a d’ailleurs subséquemment remerciée pour son « rôle de meneuse vraiment important ». La première personne à prendre la parole a été Lisa Barnoff, doyenne de la Faculté des services communautaires de l’Université Ryerson. Rappelant que le RAD a été fondé à l’Université Ryerson il y a 15 ans, elle a salué la croissance du mouvement tout en réitérant l’engagement continu de cet établissement envers l’alimentation institutionnelle saine, durable et abordable.
Membre du Groupe de travail sur la souveraineté alimentaire autochtone, Dawn Morrison a ensuite été invitée à partager les fruits des délibérations du Cercle autochtone, qui s’est réuni au cours de l’assemblée. Soulignant le fait qu’elle ne prétendait aucunement représenter la riche diversité de 98 nations, Dawn a traité de certaines questions importantes, et a remercié le RAD d’en avoir fait « le point focal de cette assemblée ». Les luttes pour la terre et l’eau de même que la destruction à laquelle s’adonnent les industries extractives demeurent des questions préoccupantes. Les discussions ont permis de relever une certaine complémentarité entre les revendications des Autochtones — incluant ceux qui entrent au Canada à titre de travailleurs migrants — et le travail de mouvements et d’organisations comme la Via Campesina et l’Union nationale des fermiers. Elle a terminé son allocution en appelant à la solidarité envers les personnes non autochtones qui se battent sur le front, et en exhortant le gouvernement à poser les gestes adéquats.
La ministre Carolyn Bennett a remercié Dawn pour la pertinence de ses remarques, rappelant que « l’intendance environnementale et la durabilité des écosystèmes terrestres et aquatiques ont toujours faits partie du mode de vie autochtone ». Elle a également indiqué que le style de leadership consistant à « demander plutôt que d’exiger » n’était pas une approche exclusivement féministe, mais plutôt essentiellement autochtone. Elle a en outre souligné que le croisement de l’expérience et de l’expertise vaut plus que la somme de ses parties. En mettant les militants sur la ligne de front en communication avec les universitaires — comme l’a permis l’assemblée —, nous pourrons commencer à bâtir des institutions qui fonctionnent, pas seulement des programmes. Il y a lieu de récolter les solutions auprès de ceux qui savent vraiment ce qui se passe.
Observant que l’alimentation et l’agriculture doivent s’adapter aux changements climatiques, la ministre a souligné certains exemples concrets du leadership autochtone qu’elle a pu observer d’un bout à l’autre du Canada. Devant un auditoire grandement reconnaissant, elle a ainsi mentionné les exemples suivants : Carol Anowek d’Iqaluit, qui a attiré l’attention sur les chasseurs déprimés par leur incapacité à nourrir leur communauté selon leurs traditions; le chef Alatini du Yukon, qui travaille à redonner leur place aux compétences en matière de pêche et de cueillette; Nellie Cournoyea, qui pêche le corégone au filet à Tuktoyaktuk; Mary Simon, qui récolte des bleuets avec les jeunes à Kuujjuaq; Rick Laliberté, qui récolte de minuscules canneberges; Tina Keeper, qui cultive la terre à Garden Hill, dans le sud-ouest de l’Ontario; le travail accompli par l’organisation Food First Newfoundland and Labrador; de même que les initiatives locales implantées sur le territoire de Nunatsiavut et dans la région de Goose Bay. Pour résumer, elle a indiqué que le partage des aliments était une tradition canadienne : « Qu’il soit question de potlatch ou de potluck, partager des aliments fait partie de nos façons de faire les choses. »
La ministre a en outre fait d’importantes déclarations politiques. À titre de médecin, elle s’est penchée sur les conséquences de la substitution des régimes alimentaires traditionnels, affirmant la « nécessité de s’attaquer aux maladies chroniques avec autre chose que des solutions de fortune », ajoutant qu’« il est plutôt question du cercle de médecine, et non pas du modèle médical ». En ce qui concerne le Programme de lutte contre les polluants dans le Nord, elle a rappelé la nécessité d’éliminer les contaminants plutôt que de dire aux gens qu’ils doivent s’abstenir de consommer les aliments traditionnels qu’ils ont collectés. Sur le plan du programme Nutrition Nord Canada, elle a favorablement accueilli le rapport Débourser pour se nourrir préparé par le RAD, tout en reconnaissant que les défis que doivent affronter les familles sont réels et totalement inacceptables. Elle a lancé une invitation à participer à la recherche de solutions, confirmant la nécessité de revoir ce programme de fond en comble. Finalement, elle a reconnu que l’élaboration de la nouvelle politique alimentaire nationale exigeait une « approche pangouvernementale globale ».
Diana Bronson a très chaleureusement remercié la ministre Bennett pour ce discours qu’elle a qualifié de « musique pour nos oreilles ». Elle a également présenté les cinq panélistes suivants, qui ont profité du temps restant pour brièvement indiquer ce qu’ils avaient retenu de la 9e assemblée du RAD.
Tabitha Martens de l’Université du Manitoba était visiblement émue lorsqu’elle a expliqué qu’elle avait trouvé l’ambiance de l’assemblée chargée d’émotions, notamment en raison du fait que sa famille reste stigmatisée par les pensionnats. Femme crie d’ascendance mixte, Tabitha a un pied ancré dans ses traditions, et l’autre dans le monde universitaire. Elle a remercié la ministre Bennett de reconnaître la gravité de la situation alors que de nombreuses femmes autochtones sont portées disparues ou sont victimes de meurtre. Loin de considérer cette situation comme un problème distinct, elle explique plutôt que « les femmes disparues ou tuées sont en fait les victimes de l’insécurité alimentaire, parce que ce sont des agents de la paix autochtones qui sont à l’origine de la première vague de cas documentés d’abus sexuels faits aux femmes autochtones, parce que celles-ci faisaient tout ce qu’elles pouvaient pour nourrir leurs enfants alors que les aliments étaient insuffisants ou périmés. Or, ça ne va pas du tout ». Elle a déclenché un tonnerre d’applaudissements lorsqu’elle a indiqué que la souveraineté alimentaire autochtone avait été le thème central de l’assemblée et que les peuples autochtones y avaient été bien représentés : « Il était temps. Il était plus que temps. » Elle a conclu en invitant tout le monde à prendre place autour de la tablée autochtone, là où toutes les décisions sont prises.
Pour Kristie Jameson, directrice générale de Food First Newfoundland and Labrador, tout repose sur les discussions au sujet d’une politique alimentaire nationale, qui constitue à la fois un énorme défi et une occasion unique à saisir. Il sera d’abord crucial d’atteindre un juste équilibre entre l’inclusion et le risque qu’un objectif trop vaste mène à l’inaction. Ensuite, l’alimentation est grandement l’affaire de choix personnels; ainsi, ce qui fonctionne au Nunatsiavut risque de ne pas fonctionner à Toronto. Un principe de base doit primer : ce sont les communautés qui sont les mieux placées pour savoir ce qui leur convient le mieux. L’un des moyens de progresser consisterait à créer une plateforme dotée d’objectifs ambitieux, mais également de mécanismes locaux, provinciaux et régionaux pour sa mise en œuvre. Au même moment, certaines occasions peuvent également se présenter à l’échelle régionale, comme la mise en place d’un programme d’alimentation en milieu scolaire ou d’une taxe nationale sur les boissons sucrées (impliquant un décaissement des fonds amassés vers les provinces).
Norma Kassi, cofondatrice de l’Arctic Institute of Community-Based Research, a remercié la ministre Bennett de côtoyer les Autochtones, un geste favorisant la confiance en cette époque de réconciliation. Elle a souligné la volonté des gens du Nord d’être autosuffisants et d’élaborer leurs propres solutions, pourvu qu’on leur donne les ressources nécessaires au déploiement des stratégies qu’ils préconisent. La santé mentale des jeunes prend du mieux lorsque leurs points de vue et leur engagement sont valorisés. Elle a terminé en soulignant la résilience des communautés nordiques, qui composent avec nombre de défis depuis des générations.
Après ces riches présentations, Diana Bronson a conclu en disant « Je crois que tout a été dit », après quoi les participants ont pris part à un dernier goûter qui leur a permis de réseauter et de nouer de nouvelles amitiés.
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