Le Conseil consultatif national en matière de croissance économique rend son avis sur l'agriculture et l'alimentation

Par Kathleen Gibson et Keith Robinson

En mars 2016, Le ministre des Finances a mis sur pied le Conseil consultatif en matière de croissance économique (CCCE), dont le mandat est « d’obtenir des avis sur la mise en œuvre de mesures stratégiques concrètes en vue de la création des conditions nécessaires à une croissance économique forte, durable et soutenue ».

Son plus récent rapport, publié en février, inclut le secteur de l’agriculture et de l’alimentation sous la rubrique « Libérer le potentiel de croissance des secteurs clés ».

Une plus grande attention envers l’alimentation et l’agriculture en général est positif. Toutefois, ce rapport et ce qu’il propose, à notre avis, ne représente pas tout l’éventail de l’innovation, et n’aborde pas certaines lacunes importantes du système alimentaire actuel et des politiques qui y sont associées.

Le résumé du CCCE sur l’agriculture et l’alimentation au Canada met l’attention sur un élément familier qu’est l’expertise du Canada dans la production de biens destinés à l’exportation. Les exportations sont sans aucun doute importantes pour un pays à la fois si grand et si peu peuplé comme le Canada. Il est toutefois surprenant qu’un rapport sectoriel ne mentionne presque pas le marché intérieur, alors que les consommateurs (et les provinces) sont si vivement intéressés par l’alimentation locale.

La croissance économique ne peut pas être le seul moteur de l’alimentation au XXIe siècle. Le contexte mondial - économique, social et environnemental - est loin d’être stable et prévisible. Cette période d'incertitude exige une gestion et des stratégies flexibles, adaptatives et diversifiées.

Voici quatre sujets de préoccupations concernant les recommandations sur l’agriculture et l’alimentation du CCCE:

Analyse des enjeux. Peu d’attention est accordée à la durabilité, aux changements climatiques, à la santé ou à la faim, ou à des facteurs importants reliés tels que la dépendance aux énergies fossiles ou la distribution inégale des revenus. Les systèmes alimentaires mondiaux – en se focalisant seulement sur la croissance sans prendre en compte ces facteurs - sont coincés dans une trajectoire non durable.[i]

Points de vue. Les enjeux cités sont intimement liés à la montée en popularité dans les 50 dernières années des mouvements alimentaires et environnementaux. La prise en considération des points de vue environnementaux, culturels et sociaux associés à l’alimentation, au niveau national et international - et les choix économiques qui en découlent - peuvent fournir une plus grande diversité et résilience au moment ou l’ensemble des secteurs se penchent sur la façon dont les Canadiens et le reste du monde se nourrira lorsque la population dépassera les neuf milliards. Les retombées au plan social, environnemental et de la santé sont des « valeures ajoutés » potentielles qui peuvent être fournies par la production locale destinée aux marchés locaux, un aspect qui pourrait être utilement appuyé par l’approvisionnement en alimentation des institutions.

Un grand nombre d’organismes privés, publics et de la société civile sont impliqués dans le Réseau pour une alimentation durable, pourtant le rapport ne mentionne que le secteur privé et non l’éventail complet des participants. Cette limite nuit à l’ensemble des propositions du rapport, incluant le Conseil sur la croissance de l’alimentation et de l’agriculture, les groupes de travail sur la chaîne de valeur, un groupe de travail intergouvernemental sur l’alimentation et bien plus.

Les obstacles à la croissance.  Le rapport met l’emphase sur l’élimination des obstacles à la croissance économique, en offrant toutefois peu de précision sur la nature exacte de ces obstacles. D’un autre côté, l’emphase est mise sur l’importance pour les consommateurs d’avoir grandement confiance en les produits alimentaires qu’ils consomment. Certaines politiques considérées comme des obstacles économiques (ex. Les restrictions commerciales ou la gestion de l’offre) ont des raisons de nature sociale et environnementale qui contribuent à cette confiance: ce qui doit être pris en considération.

Politique alimentaire nationale.  Les représentants des secteurs gouvernementaux, privés et à but non lucratif sont actuellement impliqués dans des discussions interdépartementales sur le contenu, la structure et la direction possible d’une politique alimentaire nationale pour le Canada. La seule référence à la « stratégie » alimentaire nationale du rapport est inscrite dans un contexte de renforcement de la “réputation du Canada comme source d’« aliments de confiance » au moyen de la commercialisation internationale en collaboration avec le secteur privé, …  qui met l’accent sur la salubrité, l’accessibilité, la durabilité, la qualité nutritionnelle et les attributs pour la santé de nos produits agroalimentaires” – en d’autres termes, une stratégie comme outil publicitaire. C’est, à notre avis, sous-estimer le potentiel d’une politique alimentaire nationale collaborative, interdépartementale et multisectorielle, avec une emphase sur la santé, la durabilité et la sécurité alimentaire des communautés.

Il est considérable qu’un organisme aussi influent que le CCCE demande de porter plus d’attention au secteur agro-alimentaire. Plusieurs de ses suggestions sont intéressantes. Toutefois, si la diversité est la clé de la durabilité, et que la pensée systémique et la gestion adaptative sont les solutions pour la résolution des problèmes du 21e siècle, l’axe économique à lui seul ne servira pas efficacement le potentiel du secteur agro-alimentaire canadien. Il en va de même pour la limitation du nombre de participants désignés dans le rapport, tout comme le manque de perspectives qui y sont présentées.

Le CCCE a sans aucun doute l’oreille tendue du ministre des Finances, et l’ensemble de la haute bureaucratie lit vraisemblablement ses rapports. Il n’est cependant pas clair si ces recommandations trouvent un écho au gouvernement et lesquelles sont vraiment réalisables. Espérons qu’en lisant ces conseils et en soupesant les diverses recommandations, les gestionnaires gouvernementaux tiennent aussi compte des autres processus politiques liés à l’alimentation, à l’ensemble des secteurs actuellement impliqués, et à la diversité des perspectives disponibles.


Kathleen Gibson est analyste en politique alimentaire et travaille sur les systèmes alimentaires durables au niveau national ainsi qu’en Colombie-Britannique.

Keith Robinson est un ancien fonctionnaire fédéral, et a travaillé avec, entre autres, AAC et l’ACIA. Il enseigne la politique alimentaire à l’Université de Carleton.

[i] Le International Panel of Experts on Sustainable Food Systems, dirigé par Olivier de Schutter, ancien rapporteur des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, suggère dans un important rapport publié en 2016 et intitulé From Uniformity to Diversity que les systèmes alimentaires mondiaux sont bloqués dans une trajectoire non viable de huit façons bien distinctes.