L’ALENA et la politique alimentaire - Quels enjeux sont en jeu?

La politique commerciale a une influence directe sur les aliments que nous produisons, vendons, achetons et mangeons, ainsi que sur les rapports de pouvoir au sein de la chaîne alimentaire. Ce 16 août, le Canada, le Mexique et les Etats-Unis ont commencé à renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Dans cet article, le Réseau pour une alimentation durable examine ce que cela implique pour la politique alimentaire, tout en partageant également des liens qui renvoient à des informations plus détaillées et à des ressources provenant de la société civile.

 

Pourquoi maintenant?

L’ALENA est entré en vigueur en 1994. En 2016, Donald Trump a fait du protectionnisme un des principaux piliers de sa campagne présidentielle. En raison de leur complexité et de leur manque de transparence, les négociations commerciales ont conduit à des déficits en matière de démocratie et de responsabilité, engendrant à leur tour une méfiance généralisée dont certains politiciens populistes ont pu tirer injustement profit. En avril dernier, le premier ministre Justin Trudeau et le président Pena Nieto ont réussi à convaincre Trump de renégocier l'ALÉNA au lieu de s’en retirer totalement. Puisque le gouvernement américain a réclamé des pourparlers et demeure, pour l’instant, le seul parti à avoir rendu public ses objectifs de négociation, c’est autour de son agenda personnel que s’est orienté le débat.

Tiré du journal The Globe and Mail, l'article suivant présente des renseignements généraux et des mises à jours sur l'évolution des renégociations: NAFTA, Trump and Canada (uniquement en anglais).

 

La politique alimentaire sous le feu des projecteurs

Le processus de révision a lieu en parallèle avec la mise en place d’une politique alimentaire pour le Canada et la reconnaissance gouvernementale de l’agroalimentation en tant que secteur en croissance. Il existe cependant un risque que le dynamisme des exportations prime sur les intérêts sociaux, environnementaux et ruraux dans la renégociation de l’ALENA, engendrant une plus grande concentration d’entreprises au sein des producteurs et des détaillants du secteur alimentaire. Toutefois, une opportunité se présente de remettre en question les notions de “libre-échange” à l’aide d’un modèle commercial qui tient compte de la justice sociale et environnementale.

Voici quelques-uns des problèmes pouvant directement ou indirectement affecter les politiques agricoles et alimentaires:

 

La gestion d’approvisionnement des produits laitiers, de la volaille et des oeufs

Le système canadien de gestion d’approvisionnement avec prix fixes, quotas de production et tarifs pour les produits laitiers, la volaille et les oeufs pourrait être menacé par un des objectifs des Etats-Unis, à savoir l'élimination des obstacles non-tarifaires aux exportations agricoles. Jusqu'à présent, Trudeau s’est efforcé de défendre le système canadien de gestion d’approvisionnement en dépit des fortes critiques émises par des figures d'autorité au sein du Canada, comme Dominic Barton, président du Conseil consultatif en matière de croissance économique.

 

Les Standards en matière de santé et d'environnement

Le système alimentaire a un impact très important sur les émissions de gaz à effet de serre, la durabilité et la santé. La politique commerciale, ainsi que les intérêts des entreprises transnationales, ne devraient pas entraver ou décourager les efforts fédéraux pour élever les standards environnementaux, nutritionnels et de santé. D’ailleurs, plusieurs groupes issus de la société civile demandent à ce qu’un chapitre environnemental plus fort soit introduit dans l’ALENA.   

Le chapitre 11 de l’ALENA a établi un système de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE). Il s’agit d’une disposition très controversée, car elle octroie aux entreprises le pouvoir de poursuivre des États devant des tribunaux si certaines de leurs législations nationales, incluant la protection de l’environnement, s’immisçaient dans leurs plans d’investissement. Elle a principalement été utilisée par des entreprises états-uniennes pour poursuivre le Canada. La société civile demande son élimination (voir sources ci-haut), mais la position de Trudeau n’est pas encore claire sur ce sujet.   

Aussi, la manière dont la politique commerciale influence la nutrition est un domaine de recherche fascinant. Ce récent article How NAFTA may have made Canada fat (uniquement en anglais) du Toronto Star s’appuie sur une recherche publiée dans le Canadian Medical Association Journal sur l’impact qu’ont les tarifs douaniers réduits du sirop de maïs riche en fructose sur l’obésité. Les coûts de santé publique insoutenables attribués à l’augmentation des maladies liés à l’alimentation devraient être pris en compte dans la politique commerciale du Canada. La régulation commerciale pourrait être un moyen d’adresser ces risques pour la santé dus à l’alimentation en reconnaissant les impacts qu’ont les produits qui traversent la frontière canadienne sur la santé et l’environnement.

 

Les enjeux d'approvisionnement 

La requête “Buy American” de Trump place les enjeux d’approvisionnement bien en évidence, bien que son attention première soit plutôt portée sur les grands projets d’infrastructures. La sauvegarde du droit d’approvisionnement d’aliments locaux et durables par les institutions à tous les niveaux de gouvernance est une demande de longue date du mouvement alimentaire. Elle a été défendue, mais pas toujours avec succès, dans les négociations qui ont eu lieu autour de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) et l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG), ainsi que l’ALENA.

L’introduction de l’Étiquetage indiquant le pays d’origine (EPO) imposé par les États-Unis est une autre demande qui a été défendue par la société civile, y compris l’Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP) (voir ci-dessous).

 

Qu’en pense la société civile?

Des experts provenant de la société civile décrivent ce qu’ils veulent défendre, éliminer ou introduire dans l’ALENA:

 

L’équipe Canada et la négociation

La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a annoncé une approche axé sur une “Équipe Canada”, invitant les politiciens de l’opposition, les Premières Nations, ainsi que les chefs d’entreprises et les dirigeants syndicaux (mais pas la société civile) à participer à un Comité consultatif sur l’ALENA. La consultation publique du gouvernement est toujours disponible en ligne.

La transparence dans les négociations commerciales était une demande clé des Libéraux en opposition. La ministre Freeland s’est adressée au Comité du commerce de la Chambre des Communes concernant les objectifs canadiens le 14 août dernier, seulement deux jours avant le début des négociations.

 

* Des remerciements vont à Sophia Murphy, candidate au PhD à l’Institute for Resources, Environment and Sustainability (IRES) de l’UBC, qui a été interviewée pour cet article.

Crédit photo: Mexico Institute