Que prévoit le budget fédéral pour le mouvement alimentaire ?

Le budget fédéral de 724 pages déposé le 19 avril montre que les mouvements sociaux qui travaillent pour une société et des systèmes alimentaires sains, justes et durables au Canada ont été entendus. Le budget prévoit des investissements importants pour répondre aux objectifs du Réseau pour une alimentation durable : faim zéro, aliments sains et sûrs, systèmes alimentaires durables, de même que des investissements considérables pour répondre au racisme anti-Noir et certaines des priorités des peuples autochtones.



Faim Zéro

Le budget maintient les investissements dans des programmes qui fournissent un soutien au revenu à la fois aux personnes vivant dans la pauvreté et aux personnes touchées par les pertes d'emploi en raison de la COVID. Au Canada, l'insécurité alimentaire touche un Canadien sur sept et elle est intimement liée à la pauvreté. Les effets du sexisme et du racisme structurels ainsi que les impacts continus du colonialisme amplifient l'impact sur les Canadiens noirs, les peuples autochtones et d'autres groupes.  Il est encourageant de voir que les niveaux de pauvreté ont en fait diminué de manière significative pour la première fois depuis des décennies grâce à des mesures fiscales progressives adoptées depuis 2015, comme la Prestation canadienne pour enfants et le Supplément du revenu garanti. Tout ce qui rend plus abordables les postes de dépenses importants comme le logement, la garde d'enfants et l'éducation aura un impact positif sur la sécurité alimentaire, simplement parce qu'ils soutiennent le budget du ménage.  Lorsque les revenus sont insuffisants, la nourriture est souvent sacrifiée.  Ainsi, le soutien au logement abordable, le salaire minimum à 15 $ pour les emplois sous réglementation fédérale, l'amélioration des avantages sociaux des travailleurs, l'amélioration de l'assurance-emploi, l'augmentation de la Sécurité de la vieillesse et la prolongation du soutien du revenu lié à la COVID 19 - autant d'éléments contenus dans ce budget - sont de bonnes nouvelles pour la sécurité alimentaire. 

En ce qui concerne les initiatives spécifiques, le budget annonce 140 millions de dollars supplémentaires pour le Fonds d'urgence pour la sécurité alimentaire et le Fonds des infrastructures alimentaires locales, qui viennent s'ajouter aux 250 millions de dollars annoncés l'année dernière. Le premier fonds est une mesure d'urgence et a fourni un soutien de première ligne à de nombreux groupes dont les services ont été submergés par la pandémie. L'autre fonds, qui ne dispose que de 10 millions de dollars par an pendant cinq ans, a été submergé par le volume élevé de demandes, ce qui illustre la remarquable vitalité des groupes locaux désireux d'améliorer leur infrastructure pour la sécurité alimentaire communautaire. S'il est bon de voir ces initiatives dotées de ressources dans le budget, des stratégies de justice alimentaire beaucoup plus globales et ambitieuses qui s'attaquent aux causes profondes - plutôt que de n'apporter que des réponses charitables à court terme à la crise de la COVID - doivent être mises en place à la grandeur du gouvernement, une tâche à laquelle s'attellera, espérons-le, le nouveau Conseil consultatif canadien de la politique alimentaire.

Un montant de 163 millions de dollars est alloué pour les trois prochaines années à Nutrition Nord, le programme de subventions très critiqué qui vise à rendre la nourriture dans le Nord plus abordable.  La lutte contre l'insécurité alimentaire figure également parmi les priorités du Fonds de soutien aux communautés autochtones, qui alloue 760 millions de dollars aux organisations des Premières nations, des Inuits et des Métis pour répondre aux besoins des communautés dans le cadre de la pandémie.  Au total, 18 milliards de dollars sont consacrés à la lutte contre les inégalités auxquelles sont confrontés les peuples autochtones. Ce qui est moins clair dans le budget, c'est si ces investissements seront liés à la souveraineté autochtone afin de garantir que les nations et les dirigeants autochtones contrôlent le financement et les programmes.

 

Des systèmes alimentaires durables

Plusieurs signes récents indiquent que nos gouvernements comprennent enfin que l'alimentation et l'agriculture sont essentielles pour atteindre nos objectifs en matière de changement climatique et nos objectifs économiques, et les nouveaux programmes soutenant les "solutions fondées sur la nature" sont les bienvenus. 

Un rapport et une campagne soutenue de Fermiers pour la transition climatiques ont été en grande partie à l'origine de l'investissement de 200 millions de dollars de nouveaux fonds sur deux ans pour aider les agriculteurs à réduire leurs émissions en améliorant la gestion de l'azote, en encourageant l'adoption de cultures de couverture et en normalisant le pâturage en rotation. En outre, le gouvernement a alloué 60 millions de dollars pour protéger les arbres et les zones humides existants dans les fermes, et 10 millions de dollars pour alimenter les fermes en énergie propre au cours des deux prochaines années.  Ces fonds constitueront un premier pas pour aider les agriculteurs à passer à des pratiques respectueuses du climat et judicieuses sur le plan économique et environnemental. Ces fonds sont complétés par d'autres investissements et programmes en matière d'environnement et de changement climatique admissibles à tous les secteurs, tels que le Fond net zéro. En outre, un peu plus de 647 millions de dollars seront dépensés sur cinq ans pour soutenir les efforts visant à sauver les stocks de saumon sauvage du Pacifique en chute libre.

Un montant de 57,6 millions de dollars est également prévu pour couvrir les coûts des travailleurs étrangers temporaires (TET) qui doivent s'auto-isoler à leur arrivée au Canada.  Les exploitations agricoles et la transformation des aliments dépendent fortement des TET, qui représentent environ 27 % de la main-d'œuvre dans la production végétale. Leur importance pour la chaîne alimentaire a été particulièrement remarquée pendant la pandémie, et 49,5 millions de dollars supplémentaires (sur trois ans) sont alloués au programme de soutien aux travailleurs migrants, ainsi que des ressources supplémentaires pour l'inspection des conditions de travail et des questions d'emploi.  La voie récemment annoncée vers la résidence permanente pour les travailleurs étrangers temporaires est la bienvenue, mais il faudra un certain temps pour voir comment cela se passe sur le terrain. 

Il y a encore beaucoup de travail à faire en matière de politique alimentaire et agricole canadienne pour répondre à nos besoins alimentaires de demain, et pour inciter nos systèmes de production à être plus résilients dans l'ensemble et moins dépendants des solutions techniques et des intrants synthétiques.  Dans le domaine de l'alimentation et de l'agriculture, comme ailleurs, le gouvernement fédéral est avide d'innovation et de technologies propres, ce qui conduira probablement à privilégier encore davantage les exportations au détriment de l'agriculture locale et multifonctionnelle, utilisant des technologies appropriées et abordables, si vitale pour nos communautés rurales. Ces questions ne manqueront pas d'émerger lorsque les consultations et les négociations commenceront dans le cadre du prochain partenariat agricole canadien (PAC), qui débutera en 2023. (Le PAC est un accord-cadre de cinq ans sur l'agriculture entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et il détermine en grande partie le soutien public disponible pour le secteur). La bonne nouvelle est que la politique agricole et alimentaire est devenue un aspect majeur des discussions sur le climat et l'économie.

 

Une alimentation saine et sécure

Ce budget ne contient malheureusement que peu de mesures visant à répondre au besoin en matière d'alimentation saine. Pendant la pandémie, les gens doivent plus que jamais pouvoir accéder à une alimentation saine pour renforcer leur système immunitaire. Aucune mesure ne figure dans le budget visant à reconnaître l'alimentation comme un déterminant clé de la santé, conformément au Guide alimentaire 2019.  Il n'y a pas non plus de suivi de l'engagement pris par le gouvernement Trudeau de travailler avec les provinces et les territoires pour développer un Programme national d'alimentation scolaire, comme promis dans le budget 2019.  Ce manque d'action est inquiétant, mais espérons que les décideurs politiques verront à quel point une alimentation saine, locale et accessible est vitale pour tous les enfants lorsqu'ils commenceront à déployer les ambitieuses initiatives relatives à l'éducation de la petite enfance. Les praticiens de l'alimentation scolaire ont une merveilleuse occasion de participer dès le début à la conception de notre nouveau système national de garde d'enfants. Un programme national d'alimentation scolaire, associé à un programme national de garde d'enfants, constituerait un soutien fantastique pour les parents qui travaillent, en particulier les mères. 

Bien que les maladies liées à l'alimentation (diabète, maladies cardio-vasculaires, obésité) soient des facteurs de risque majeurs liés à la COVID, le budget n'a pas mis l'accent sur l'alimentation en tant qu'élément de résilience individuelle ou communautaire face à ces pandémies.  La pauvreté, le racisme et les inégalités ont certainement été soulignés et commencent enfin à être abordés dans ce budget, grâce à un nouveau soutien aux entrepreneurs noirs et autochtones et à davantage de ressources destinées aux organisations à but non lucratif pour la réponse à la COVID. Les investissements dans l'économie sociale, l'innovation sociale et la finance sociale peuvent offrir des opportunités aux activistes du mouvement alimentaire pour renforcer et connecter le travail déjà en cours sur le terrain d'un océan à l'autre. Un fonds de 220 millions de dollars pour la finance sociale (sur 2 ans) et 50 millions de dollars pour le Fonds de préparation à l'investissement visent à équiper les organismes sans but lucratif et les organismes de charité pour qu'ils puissent accéder à la finance sociale.  Une injection de 200 millions de dollars est également prévue dans un fonds de dotation philanthropique dirigé par des Noirs pour lutter contre le racisme et améliorer les conditions socio-économiques.  De nombreuses organisations alimentaires devraient pouvoir accéder à ces nouvelles ressources.   

Cependant, le budget traite encore des effets induits par la pandémie et n'a pas encore accordé à la santé publique le rôle qu'elle doit jouer, non seulement dans la prévention de la propagation des infections à la COVID, mais aussi dans la prévention de nombreuses autres maladies pour lesquelles l'alimentation et les systèmes alimentaires sont un facteur déterminant. Étant donné l'engagement déclaré du Canada envers l'agenda 2030, il est surprenant que le budget ne contienne aucune référence aux 17 objectifs de développement durable de l'ONU, dont le deuxième, en particulier, reflète le mandat du Réseau pour une alimentation durable : " Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable ".  

Les prochains mois seront cruciaux pour transformer les mesures d'intervention d'urgence en programmes sociaux durables qui permettront de bâtir un Canada plus résilient et durable. 

 

Voyez ce que d'autres organisations disent du budget :

Assemblée des Premières Nations

Fédération canadienne de l'agriculture

Canadian Centre for Policy Alternatives (en anglais)

Réseau canadien de développement économique communautaire

Chantier de l’économie sociale

Community Food Centres of Canada (en anglais)

Un enfant Une place

Membres de la Coalition du budget vert

Inuit Tapiirit Kanatami (en anglais)

Métis Nation (en anglais)

Association nationale des centres d'amitié

Union Nationale des Fermiers



Veuillez envoyer un courriel à communications@foodsecurecanada.org pour nous signaler les réactions au budget d'autres organisations et réseaux du mouvement alimentaire.

Article publié le 22 avril, 2021 et modifié le 4 mai, 2021.