Façonner l’Avenir des Systèmes Alimentaires Mondiaux: Une Analyse de Scenarios (Forum Économique Mondial)
Par Salma Khalil et Susan Alexander
L’avenir des systèmes alimentaires mondiaux fait l’objet d’un nouveau rapport du Forum Économique Mondial (FEM), réputé pour son rassemblement annuel à Davos des entreprises globales et des élites politiques. « Façonner l’avenir des systèmes alimentaires mondiaux : une analyse de scénarios » est le fruit d’une collaboration entre des leaders de divers horizons, notamment de grandes entreprises privées, d’universitaires, de groupes de réflexion, des Nations Unies et de quelques personnes de la société civile. Différents mondes alimentaires fictifs de l’avenir – les scénarios – sont développés, explorés et analysés.
Bien que l’accent ait été mis sur les marchés et la technologie, ce qui n’est pas surprenant mais est à la fois positif, le rapport a une grande portée. Conformément aux objectifs de développement durable (ODDs) des Nations Unies, le rapport reconnaît que la santé des humains et celle de la planète sont en péril et met en relief la nécessité de transformer les systèmes alimentaires. Les éventuelles voies « d’incertitudes » identifiées dans l’analyse comme le commerce, les politiques entourant les changements climatiques, les inégalités et la migration, rendent la lecture inconfortable dans le contexte du Brexit et de la présidence Trump.
Le rapport nous amène à réfléchir sur quatre scénarios possibles, qui sont tous considérés comme probables et dans certains cas déjà en cours, et à mettre en lumière des zones sombres dont les acteurs traditionnels du système alimentaire ne tiennent peut-être pas compte. Au lieu de prédire des résultats futurs, le but des scénarios est de susciter des échanges et d’explorer des possibilités basées sur diverses tendances sociales, économiques et technologiques.
Les scénarios sont basés sur quelques hypothèses – les tendances et les développement prévisibles – qui peuvent être envisagées de manière fiable en 2030. Cela comprend des tendances telles que la croissance de la population et l’augmentation mondiale des températures. Ces tendances sont intégrées dans chaque scénario. Ces hypothèses sont alors jumelées à deux grandes incertitudes identifiées : les variations dans la demande et les choix des consommateurs ainsi que la nature et l’état des marchés en 2030.
Tout cela a permis de développer 4 scénarios hypothétiques pour notre système alimentaire de demain :
1. La survie des mieux nantis
Ce scénario peut vous sembler familier : une combinaison de la consommation nécessitant beaucoup de ressources et des marchés décousus créée un large fossé entre pays développés et pays en voie de développement et presque rien n’est fait concernant les changements climatiques. Il y a une croissance des conflits géopolitiques et la migration attribuée à la croissance de la population et des inégalités, ainsi qu’à la hausse des prix des aliments. La concentration du capital et l’épuisement des ressources par une minorité riche, ainsi que l’incapacité à mettre en œuvre une politique de changement climatique différente sonne juste, en regard de ce qui se passe aujourd’hui.
2. Consommation sans limites
La demande des consommateurs tend de plus en plus vers la malbouffe et la surconsommation. Conjuguée à la nouvelle technologie, elle permet au marché de répondre par une hausse de la production alimentaire. L’objectif est de produire des rendements de volume supérieur, mais de piètre qualité et avec peu de valeur nutritionnelle. De ce fait, le commerce augmente pour rencontrer cette demande à la hausse, tandis que les prix des denrées alimentaires demeurent bas, créant ainsi des bénéfices à court-terme aux compagnies multinationales et aux consommateurs. À longue échelle, une mauvaise alimentation mènera à une augmentation des coûts des services de santé, à la destruction des ressources naturelles exploitées pour rencontrer cette forte hausse, et finalement, les plus petites entreprises s’en sortent perdantes contre leurs compétiteurs – les multinationales.
3. Durabilité à code source ouvert
Une consommation rentable qui utilise plus efficacement ses ressources, jumelée à des marchés interreliés, a amené une hausse des ressources alimentaires et à des systèmes alimentaires plus solides. Le prix des aliments qui ne cesse d’augmenter reflète le « coût réel » de l’alimentation, et le renforcement des économies mondiales a permis aux consommateurs d’être en mesure d’absorber cette augmentation de prix. Il y a une transition du comportement d’achat des consommateurs, qui s’intéressent de plus en plus à des aliments sains et nutritifs, tandis que les gouvernements tentent tant bien que mal de respecter leurs objectifs en matière de lutte aux changements climatiques. Certes, s’il y en a plusieurs qui bénéficient de ce scénario, certains agriculteurs peuvent se trouver exclus de cette économie mondialisée étroitement liée et les consommateurs qui ne peuvent se permettre la hausse de prix seront plus vulnérables.
4. De "mondial" à "local"
Dans ce scénario, les états dépendent de leur propre système alimentaire autosuffisant, se basant sur une consommation rentable qui utilise plus efficacement ses ressources. En pratique, si certains pays développés ont pu avoir une meilleure compréhension et appréciation de leur système alimentaire, ainsi que des habitudes alimentaires plus saines, ce scénario s’avère presque impensable pour les pays sans terres agricoles et les pays en voie de développement, qui dépendent largement de l’importation. La production des multinationales se trouverait désavantagée par une chute de ventes, et les producteurs agro-industriels seraient sous pression pour équilibrer leur production agricole tout en produisant une plus grande diversité de produits. De plus, l’impact environnemental généré par la production agro-alimentaire est largement réduit dans ce scénario.
Des signes précurseurs découlant de chacun de ces scénarios sont identifiés dans le rapport, et la nécessité d’une approche à long-terme pouvant provoquer un changement systémique est mise en évidence. Le groupe souligne qu’une planification à grande échelle et une collaboration entre diverses entités – décideurs politiques, agriculteurs, ONGs, chercheurs et consommateurs – qui doivent tous être conscients de leurs rôles importants pour façonner nos futurs systèmes alimentaires. Par ailleurs, ce rapport soulève de nombreuses questions complexes et étroitement liées – notamment sur la technologie et l’innovation, la réglementation relevant des autorités gouvernementales, le commerce mondial, et plus – mais surtout exhorte tous les intervenants à assumer un rôle dans la conception de nos systèmes alimentaires, et de collaborer dans un but commun, soit, de répondre à la question suivante : « Comment nos systèmes alimentaires pourront sainement et de façon durable, nourrir 8,5 milliards d’habitants en 2030? ».
Shaping the Future of Global Food Systems: A Scenarios AnalysisCe rapport, co-publié par le Forum Économique Mondial et Deloitte, présente quatre scénarios de futurs systèmes alimentaires mondiaux. Pour lire le rapport en entier (seulement offert en anglais) |
Nous vous encourageons aussi à lire les rapports de IPES-FO, pour une perspective différente sur la transformation de nos systèmes alimentaires, qui mettent une plus grande emphase sur les connaissances locales, l’agroécologie et l’économie politique.
Salma Khalil est diplômée en microbiologie et en science alimentaire, et passionnée par le mouvement alimentaire émergent au Canada.
Susan Alexander est spécialiste en communications et grandement investie au sein du mouvement alimentaire de Montréal.
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