Comment mettre fin à l'utilisation abusive des antibiotiques dans notre alimentation

Une coalition d’investisseurs gérant des actifs d’une valeur d’un billion de dollars exhorte l’industrie à prendre des mesures afin de mettre fin à « l’utilisation abusive » d’antibiotiques dans les chaînes d’approvisionnement mondiales de viande et de volaille.

Par Jennifer Reynolds

L’Organisation mondiale de la santé considère qu’il est urgent de s’attaquer à la résistance aux antimicrobiens, un problème susceptible de compromettre la sécurité sanitaire mondiale. Si aucune mesure n’est entreprise en ce sens, nous risquons de nous retrouver dans une situation comparable à l’époque précédant l’introduction des antibiotiques.

Chaque année dans les hôpitaux du Canada, plus de 18 000 patients contractent des infections résistantes aux antimicrobiens, et « le total des coûts de soins médicaux liés à des infections résistantes aux antimicrobiens a été estimé à un milliard de dollars » (Agence de la santé publique du Canada [ASPC], Système canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens – Rapport de 2015, mars 2015).

L’accroissement de la résistance aux antimicrobiens (un phénomène par lequel un microorganisme devient résistant aux traitements antibiotiques, par exemple) est « en grande partie due à une utilisation inadéquate de traitements antimicrobiens, à des patients qui ne vont pas au bout des traitements d’ordonnance et à une mauvaise utilisation dans le bétail ou les cultures » (ASPC, Résistance et recours aux antimicrobiens au Canada : un cadre d’action fédéral, octobre 2014).

Les antibiotiques sont utilisés pour prévenir et traiter les maladies de même que pour augmenter l’indice de transformation ou stimuler la croissance chez les animaux destinés à l’alimentation (selon les allégations se rapportant à la production animale). Or, au Canada, les « animaux destinés à l’alimentation sont, par leur nombre, la principale sphère d’utilisation des antimicrobiens et représentent une grande pression de sélection pour la résistance aux antimicrobiens » (ASPC, 2015). Qui plus est, « parmi ces antimicrobiens (toutes les classes utilisées en médecine humaine), 78 % ont été utilisés chez les animaux de production, soit environ quatre fois plus pour les animaux que pour les humains » (ASPC, 2015).

Si nous n'agissons pas maintenant, dans 20 ans, n'importe qui se retrouvant à l'hôpital pour une chirurgie mineure pourrait mourir des suites d'une banale infection qui ne peut pas être traitée à l'aide d'antibiotiques. - Professeure Dame Sally Davies, médecin en chef du Royaume-Uni

 

Nous devons mettre fin à l’utilisation abusive d’antibiotiques chez les animaux destinée à l’alimentation

Plus tôt ce mois-ci, l’initiative Farm Animal Investment Risk and Return (FAIRR) et l’organisme de bienfaisance ShareAction ont lancé, en collaboration avec dix des plus grandes chaînes de restauration aux États-Unis et au Royaume-Uni, une campagne exigeant de mettre fin à l’utilisation non thérapeutique des antibiotiques importants pour la santé humaine au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales de viande et de volaille. Totalisant des actifs d’un billion de dollars, la coalition à l’origine de cette campagne rassemble 54 investisseurs institutionnels dont Aviva Investors, Natixis Asset Management, ACTIAM, Mirova, Coller Capital et Strathclyde Pension Fund.

Ces investisseurs ont demandé à dix entreprises de fixer un échéancier pour abolir l’utilisation de tous les antibiotiques d’importance médicale capitale au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales de viande et de volaille qui les fournissent.

 

Que se passe-t-il au Canada?

Santé Canada travaille en collaboration avec l’Institut canadien de la santé animale afin de mettre en œuvre deux mesures concernant l’utilisation d’antimicrobiens chez les élevages destinés à l’alimentation : le retrait des allégations en matière de stimulation de la croissance ou de production qui se rattachent aux agents antimicrobiens d’importance médicale; et la mise en place de moyens permettant d’accroître la surveillance vétérinaire de l’utilisation d’antimicrobiens chez les animaux destinés à l’alimentation. (Santé Canada, Avis aux intervenants, 10 avril 2014.)

Certaines critiques soulignent toutefois que le simple fait de modifier les allégations quant aux types d’utilisations des antibiotiques ne réglera pas le problème.

« Nous n’arriverons à rien si nous nous en tenons uniquement à un débat sur la stimulation de la croissance », soutient le Dr Greg Douglas, vétérinaire en chef de l’Ontario. « D’autres collectivités publiques disent avoir découvert que les médicaments ne servent pas à stimuler la croissance, mais bien à prévenir les maladies », poursuit Greg Douglas en soulignant le caractère ironique d’une telle affirmation (Kelly Crow, « Health Canada’s quiet move to end use of antibiotics to fatten up animals », CBC, 9 juillet 2014).

Tirer profit des décisions d’achat

En plus des mesures mises de l’avant par les entreprises, la décision des consommateurs, des détaillants et des établissements publics, d’acheter exclusivement de la viande issue d’animaux élevés sans antibiotiques peut avoir un impact direct sur les pratiques de l’industrie. Les établissements de santé, qui sont les plus touchés par la résistance aux antimicrobiens, pourraient eux aussi faire jouer leurs décisions d’achat pour accroître cet impact. Aux États-Unis, des centres hospitaliers ont commencé à recourir à cette stratégie; en 2015, 270 hôpitaux faisant partie du réseau Health Care Without Harm ont participé à une journée thématique sur l’alimentation en servant de la viande issue d’animaux élevés sans antibiotiques.

« Voter avec sa fourchette » peut contribuer à rendre les pratiques de la chaîne de valeur plus durables. Cependant, nous avons également besoin d’élaborer des politiques nationales capables de répondre à l’ensemble des enjeux interconnectés sur les plans de la santé, du développement durable et de la viabilité de l’agriculture.

Achetez-vous de la viande issue d’animaux élevés sans antibiotiques? Savez-vous si l’école, l’hôpital ou le campus universitaire que vous fréquentez s’est doté d’une politique promouvant l’achat de viande sans antibiotiques? Nous aimerions vous entendre à ce sujet.