Nouveaux agriculteurs : l'histoire de S. Jones
"Cet article a été publié le 28 septembre, 2015 pour la campagne Je mange donc je vote du Réseau pour une alimentation durable"
Je m'appelle Shannon et je suis agricultrice. Mon mari aussi est fermier et ensemble, nous sommes propriétaires de la ferme Broadfork, une ferme à petite échelle, avec un jardin maraîcher biologique qui fournit 100% de notre revenu.
Aucun de nous deux n’a grandi sur une ferme. Tous les deux avons commencé notre carrière en agriculture en tant qu’apprentis sur des fermes que nous aimions. Ça nous a pris quelques années d’apprentissage auprès d’autres agriculteurs avant d’entretenir l’idée d’avoir notre propre ferme. Mon mari et moi nous sommes rencontrés alors que nous travaillions sur des fermes voisines, après avoir décidé indépendamment l’un de l’autre nous voulions avoir notre propre ferme. À deux, nous cumulions près de dix années d’expérience.
Nous n’avions pas beaucoup d’économies, mais grâce à un poste de gestionnaire de terrain de ferme que j’avais occupé, et à un incubateur « soutenu par la communauté » que Bryan avait dirigé la saison précédente, nous avions réussi à accumuler 10 000$ chacun. Ce 20 000$ nous a permis de démarrer notre ferme sur une terre louée et à payer nos dépenses jusqu’à ce que nos légumes soient prêts pour la vente.
L’hiver avant de démarrer la ferme Broadfork, nous avons travaillé sur un plan d’affaires tout en suivant un cours de planification d’entreprise fermière.
Avec les propriétaires fonciers desquels nous avions loué la terre, nous avons écrit un long et détaillé contrat de location. Notre première saison a été remplie de défis et de récompenses. Nous rêvions d’investir plus d’argent et de temps dans le renforcement des sols et la plantation de cultures vivaces. Ces deux activités faisaient partie de notre vision d’une ferme agro-écologique, régénératrice et en santé, et nécessitaient un engagement et une vision à long terme. Nous voulions une situation foncière stable et nous rêvions d’acheter notre propre ferme. Cela nous semblait comme un rêve lointain, mais nous avons finalement entendu parler d’une petite ferme à vendre dans un autre comté. Après l’avoir visitée plusieurs fois, nous avons décidé que c’était la ferme parfaite pour réaliser nos rêves.
Cependant, nous ne savions pas du tout comment avoir accès au capital pour acheter cette petite ferme. Aucun d’entre nous deux n’avait fait de prêt hypothécaire par le passé. La banque et la caisse avec lesquelles nous faisions affaires nous ont dit qu’ils n’octroyaient pas de prêts pour les fermes. Nous avons demandé conseil à d’autres agriculteurs et avons fini par envoyer une demande à Financement Agricole Canada.
Nous avons pris rendez-vous et avons roulé deux heures jusqu’au bureau de Financement Agricole Canada le plus proche. Nous avions déjà travaillé à la mise à jour de notre plan d’affaires et des états financiers, et nous avions envoyé tous les papiers essentiels par courriel une semaine avant le rendez-vous.
À notre arrivée au bureau de Financement Agricole Canada, nous avons rencontré un agent de crédit. Comme il n’avait pas encore regardé aucun des documents que nous avions envoyé, nous avons patiemment attendu qu’il les retrouve dans sa boîte de messages. Après avoir jeté un coup d’œil rapide, il nous a dit qu’il allait prendre contact avec nous dans les prochains jours. Ça ne regardait pas très bien… La réunion s’est terminée au bout de 10 minutes. Pendant les deux heures du trajet de retour, Bryan et moi avons réfléchi à d’autres options.
Tel que promis, quelques jours plus tard, nous recevions un appel nous disant que Financement Agricole Canada ne nous octroyait pas de prêt, mais serait prêt à reconsidérer si l’un de nous deux obtenait un emploi à temps plein dans un domaine autre que l’agriculture.
Nous étions déçus. Notre plan d’affaires prévoyait que nous serions deux à travailler à temps plein sur la ferme pour atteindre nos objectifs. Nous pensions pourtant que Financement Agricole Canada octroyait des prêts aux agriculteurs, pas seulement aux individus qui ont des revenus générés ailleurs que sur une ferme.
Heureusement pour nous, il existe toujours un Bureau des prêts fermiers en Nouvelle-Écosse (auparavant, il y en avait un dans chaque province). Grâce à des échanges par téléphone et par courriel—pas de trajet en voiture de deux heures!—nous avons obtenu un prêt hypothécaire couvrant le terrain et quelques travaux d’infrastructure nécessaires, basé sur notre plan d’affaires et notre expérience.
Ce prêt nous a permis d’atteindre nos objectifs de production, de stabiliser nos circuits de commercialisation et de travailler dans le sens de notre vision de l’agriculture, qui offre des bénéfices tant sur le plan écologique que sur le plan sociétal.
De mon point de vue, il a été bon de nous faire confiance. Nous avons toujours fait nos paiements hypothécaires à temps, et nous avons toujours remboursé plus d’argent que le minimum mensuel. Grâce avec cette expérience positive avec le Farm Loan Board (Bureau des prêts fermiers) de la Nouvelle-Écosse, nous nous sentons maintenant plus confortables à l’idée d’emprunter davantage pour faire grandir notre entreprise agricole.
Je pense qu’une problématique importante au Canada est que les fermiers comme nous, sans antécédents de travail agricole et qui veulent créer leur propre ferme à petite échelle—une ferme qui soit résiliente sur le plan écologique et génératrice de revenus—ne sont pas reconnus comme de vrais agriculteurs. Les philosophies et les politiques qui dominent sont celles des grosses fermes, des monocultures et des investissements lourds, ce qui rend difficile pour les agriculteurs comme nous d’être vus, entendus et respectés. Pourtant, les résultats d’un récent sondage sur les nouveaux agriculteurs, mené par la Coalition nationale des nouveaux fermiers et l’Université du Manitoba, démontrent que plus de 70% des nouveaux fermiers n’ont pas d’antécédents agricoles. De plus, bon nombre d’entre eux optent pour la biodiversité, les fermes à petite échelle et les méthodes de production bénéfiques sur les plans social et écologique. Le même sondage démontre que l’accès au capital est l’une des barrières majeures pour les nouveaux agriculteurs, et que cet obstacle influence fortement leur décision de se lancer en agriculture, ou même de continuer à travailler sur une ferme.
À travers le monde, les prêts à échelle locale, les initiatives « slow money » et les fonds d’investissement éthiques génèrent beaucoup d’intérêt. On pourrait croire que les gens font la queue pour investir dans des fermes écologiques, à vocation sociale et à échelle familiale. Ici en Nouvelle-Écosse, Farmworks est un modèle inspirant où les investisseurs déposent de l’argent dans un fonds destinée à des entreprises alimentaires et agricoles locales.
Curieusement, les agences traditionnelles de prêts agricoles, comme Financement Agricole Canada, ne semblent pas tenir compte de la crise de vieillissement des fermiers—leur moyenne d’âge atteindra 55 ans cette année—et ne cherchent pas à collecter des intérêts auprès de nouveaux agriculteurs provenant de tous les horizons.
Je pense que l’un des changements majeurs qui doit se produire est la redéfinition de ce qu’est réellement un agriculteur. Je me souviens d’une discussion avec une femme qui demandait si Bryan et moi avions des animaux sur notre ferme. Nous possédons bien quelques poules pondeuses, mais à la base, notre ferme produit des légumes. Cette femme nous a ensuite dit que nous étions des fermiers du dimanche. Je dois l’admettre, lorsque nous pensons à garder du cheptel sur notre ferme, nous voyons cela davantage comme un passe-temps, contrairement à nos cultures maraîchères—à l’instar des agriculteurs qui font l’élevage du bétail, mais possèdent aussi un jardin pour le plaisir. On ne peut pas généraliser : pour quelqu’un, la philatélie peut être un simple passe-temps, mais pour d’autres, acheter et vendre des timbres est une façon de gagner leur vie.
L’augmentation de l’intérêt des clients pour la nourriture locale, biologique et directement achetée du producteur a permis aux fermes écologiques à petite échelle d’obtenir de la reconnaissance et du respect de la part des plus grandes fermes et des décideurs politiques, mais il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Continuez à consommer de façon responsable et soyez le changement que vous voulez voir dans le monde et dans votre communauté : les décideurs politiques en prendront note. De plus, si vous disposez d’un peu d’argent et que vous voulez investir tout en faisant une grande différence dans la vie d’un jeune agriculteur, pensez à mettre votre argent dans fonds d’investissement local, ou partez-en un ! (Je recommande de regarder du côté de Farmworks pour vous inspirer.)
Pour apporter des changements dans le système alimentaire, le système de santé et le système agricole au Canada, nous avons besoin de travailler à partir du haut de la pyramide et à partir de la base. Les citoyens ont un rôle à jouer pour influencer ces systèmes de façon positive, aujourd’hui et demain.
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