Orchestrer un meilleur système alimentaire : le point de vue des Canadien.nes sur les politiques alimentaires

Lundi, 24 septembre, 2018 - 10:17

Il y a finalement du mouvement en politique alimentaire; le gouvernement a publié le rapport Ce que nous avons entendu suite aux consultations publiques qui ont eu lieu en 2017. Il ne s’agit pas d’un document politique, mais bien d’un rapport. Mais la façon dont le gouvernement a décidé de présenter ce qu’il a entendu, les endroits où il a mis l’accent, et ceux qu’il a tentés de passer sous silence, est significatif et nous donne, par la même occasion, certaines pistes sur leurs objectifs.

Le  mouvement alimentaire et les communautés autochtones ont quelques victoires à célébrer, telles que le besoin d’insister sur la gouvernance et la réconciliation, l’environnement et la sécurité alimentaire. Toutefois, d’autres concepts, tels que le droit à l’alimentation et l’alimentation durable à la fois bonne pour les gens et la planète, sont restés «lettre morte». Certaines omissions sont troublantes - pourquoi n’y a-t-il aucune mention des fruits et légumes, du passage d’un régime de viande à un régime alimentaire végétarien, ou des préoccupations des travailleurs?

En somme, le rapport parle beaucoup de décloisonnement et de reconnaissance des liens dans notre système alimentaire, mais le suivi en lui-même est fragmentaire - peut-être est-ce inévitable à une étape de «consultations». Il est encourageant que l’introduction sur les principes et la conclusion sur les priorités transversales reflètent dans une large mesure les approches et mécanismes que le mouvement alimentaire a défendus. Toutefois, il n’est aucunement garanti qu’ils se retrouvent dans la politique éventuelle, ou qu’ils déterminent les choix difficiles et les décisions budgétaires.

Les quatre chapitres thématiques (Sécurité alimentaire, Santé et salubrité des aliments, Environnement et Croissance économique) sont encore souvent une liste de souhaits d’idées politiques contradictoires et concurrentes, et il n’y a toujours aucune indication de la façon dont les décisions difficiles seront prises. Oui, le plaidoyer de la société civile a eu relativement du succès dans la définition et l’introduction des idées politiques clés, mais il reste encore beaucoup de travail à accomplir.

 

Les victoires pour le mouvement alimentaire et les communautés autochtones

Au lieu «d’accessibilité» des aliments, le rapport reconnaît que la sécurité alimentaire est une meilleure approche pour garantir que tous les Canadien.nes puissent bien manger ; il s’agit en soi d’un recadrage important du sujet. Traiter la sécurité alimentaire en tant que problématique liée au revenu et à la pauvreté réussit à attirer l’attention, tandis que les questions de droit à l’alimentation et de souveraineté alimentaire ne suscitent pas le même intérêt. D’autres propositions politiques spécifiques mises de l’avant par le mouvement alimentaire telles que l’alimentation scolaire, les solutions communautaires et locales, l’approvisionnement local pour les écoles et les hôpitaux, et le besoin de données cohérentes sur l’insécurité alimentaire sont aussi des sujets qui ont reçu une certaine attention.

L’histoire et le rôle particulier de l'alimentation pour les peuples autochtones sont reconnus à plusieurs reprises : on y retrouve la reconnaissance de l’alimentation en tant qu’élément pouvant mener à la réconciliation, des approches axées sur les droits et la terre, une attention envers les besoins des communautés éloignées et le besoin de protéger et de soutenir l’alimentation traditionnelle. Une approche fondée sur des distinctions est présentée en tant que nouvelle priorité transversale. Nutrition Nord n’est plus présenté comme seule solution à la crise de l’insécurité alimentaire chez les communautés nordiques.

Une nouvelle priorité de gouvernance transversale met en évidence le besoin pour un comité consultatif multipartite externe. Le Conseil de la politique alimentaire proposé par le RAD et d’autres partenaires est explicitement mentionné et cette section entière a largement puisé dans le langage de cette proposition.

«L’environnement» a remplacé le titre plus limitatif de Conserver nos sols, notre eau et notre air : il est à la fois plus direct et ne marginalise pas d’autres questions importantes telles que la biodiversité. On y retrouve une reconnaissance précieuse du besoin de protéger les terres agricoles, de soutenir les nouveaux agriculteurs, de surveiller l’utilisation des pesticides et de réduire le gaspillage alimentaire - toutes des politiques que nous avons soutenues.

Sous le thème de la croissance, on retrouve une reconnaissance bienvenue de l’importance de favoriser les marchés alimentaires locaux et régionaux (et biologiques), ainsi qu’une section (plutôt faible) sur l’équilibre entre la croissance économique et les priorités environnementales et autres.

 

Déceptions et disparitions

Le fait d’adopter une approche basée sur les droits en tant que point d’ancrage de la nouvelle politique alimentaire du Canada changerait la donne (laissons de côté le fait que le Canada ait déjà des obligations découlant de ses engagements internationaux). Après avoir décodé l’inclusion mitigée du droit à l’alimentation de ce rapport, on en conclut que la société civile n’a pas encore gagné cet argument.

Le thème Santé et salubrité des aliments de ce rapport est décevant du point de vue de la société civile. Bien qu’il soit mis de l’avant la réduction de la fraude alimentaire et l’amélioration de l’éducation alimentaire, il n’y a pas de réelle analyse des connexions entre l’alimentation, la santé de la population et celle de la planète. La stratégie en matière de saine alimentation et le rôle des instruments gouvernementaux comme la taxation et les subventions dans le but de modifier l’environnement alimentaire auquel font face les Canadien.nes ne sont que très peu mentionnés.

En termes d’environnement, l’attention est centrée sur l'impact des changements climatiques sur l’agriculture, mais il est très peu mention de l’impact de l’agriculture sur les changements climatiques. Absolument aucune reconnaissance n’est faite concernant les effets - un système alimentaire moins durable - d’un programme commercial restreint.

En termes d’environnement, l’attention est centrée sur l'impact des changements climatiques sur l’agriculture, mais il est très peu mention de l’impact de l’agriculture sur les changements climatiques. Absolument aucune reconnaissance n’est faite concernant les effets - un système alimentaire moins durable - d’un programme commercial restreint.

Étant donné l’élan dont profite l’objectif de croissance des exportations à 75 milliards de dollars d’ici 2025 - objectif proposé par le Rapport Barton et ultérieurement soutenu par de nouvelles instances gouvernementales et de nouveaux instruments et budgets - il n’est pas surprenant que la portion Croissance économique soit mise de l’avant. Ce rapport commence à peine à se pencher sur la faisabilité de cet objectif et la façon dont il peut être atteint tout en étant compatible avec la santé, l’équité et le respect de la Terre.

Pour terminer, les organisations syndicales ainsi que d’autres ont attiré notre attention sur l’importance du rôle des travailleurs dans notre système alimentaire (1 emploi sur 8), incluant l’utilisation et l’abus envers les travailleurs migrants, main-d'oeuvre dont nous dépendons. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cet élément a été pratiquement ignoré.

 

Toutes ces questions seront discutées lors de notre Forum pendant que nous préparons la suite de nos actions.

 

Au courant du processus de consultation, le RAD a soumis au gouvernement ses recommendations.

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