Un conseil de la politique alimentaire pour le Canada

16 octobre 2015

La politique alimentaire à l'échelle canadienne, c'est comme les pièces d'un casse-tête que ton petit frère éparpillait partout dans le salon lorsque tu étais jeune. Quelques-unes des pièces sont là, d'autres sont manquantes, mais rien de cela s'apparente à une image complète. Dr. Rod MacRae, analyste en politique alimentaire, argumente dans son dernier article écrit pour le Réseau pour une alimentation durable que le Canada pourrait rassembler les pièces de la politique alimentaire nationale en créant un conseil de la politique alimentaire, conseil qui serait similaire à la douzaine de conseils de la politique alimentaire municipaux existants au Canada.

Lisez l'article de Dr. MacRae sur les bénéfices d'avoir une politique alimentaire nationale cohérente et compréhensive et des dangers que cela pose de ne pas réussir à en créer une.

L'article suivant a été écrit par Dr. Rod MacRae, professeur adjoint à la faculté des Études Environnementales de l'Université York. Ses recherches portent sur la création d'une politique alimentaire et agricole pan-canadienne et la série des programmes cohérents et compréhensifs nécessaires pour le soutien d'une telle politique.

Les aliments occupent une place centrale au sein d’un très grand nombre de processus sociaux – l’économie, la santé, la cohésion et la justice sociales, l’intendance environnementale. Pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître, le Canada n’applique toujours pas d’approche coordonnée et intégrée pour gérer son système alimentaire. Certains éléments de solution existent déjà, mais les liens entre ceux-ci demeurent faibles et il subsiste de nombreuses lacunes pour parvenir à une structure digne d’une politique alimentaire concertée.  

Par politique alimentaire concertée, je fais allusion au contexte politique cohérent et exhaustif qui permet d’accorder le rôle et le fonctionnement du système alimentaire aux objectifs de promouvoir la santé, d’instaurer la justice sociale et d’assurer la durabilité environnementale. Une politique concertée permet de réunir les efforts de l’ensemble des domaines, des acteurs et des territoires concernés, et ce, à toutes les échelles. Elle se sert d’une vaste gamme d’outils et de structures de gouvernance pour atteindre les objectifs susmentionnés, qui comptent des sous-politiques, une législation, des règlements, des protocoles réglementaires, des directives, des programmes, des mécanismes éducatifs, un régime de taxes et d’incitations fiscales. Du reste, elle apporte des changements quant aux lieux de pouvoir et à la manière de prendre les décisions. 

En raison de son approche incohérente, notre système alimentaire engendre toute sorte de problèmes qui n’obtiennent qu’une attention limitée de la part des gouvernements. Les commerces regorgent d’aliments, mais les problèmes suivants subsistent malgré tout :

  • La faim existe dans ce pays d’abondance – environ 10 % des Canadiennes et des Canadiens ne peuvent pas s’offrir un régime nourrissant, même s’ils sont entourés d’aliments. 
  • Le système alimentaire met l’accent sur l’exportation alors que les experts en économie régionale nous disent que la substitution des importations ferait augmenter l’activité économique et le nombre d’emplois – le Canada importe 30 % de ce que nous consommons, et la moitié de ces importations sont probablement des aliments que nous pourrions produire et entreposer ici. 

Plusieurs fermes ne réussissent à survivre que parce qu’un membre des familles qui les exploitent travaille à l’extérieur de celles-ci – les cycles d’expansion et de ralentissement qui affectent la majeure partie des secteurs agricoles engendrent une forte variabilité des revenus, et les fermes continuent de disparaître à un rythme alarmant.

Le régime alimentaire constitue un facteur de risque pour plusieurs maladies et problèmes de santé; pourtant, peu d’attention est accordée à l’alimentation à titre de stratégie favorisant la bonne santé – rien n’est plus révélateur de l’incohérence de notre système alimentaire que la combinaison de médecins qui ne comprennent pas grand-chose aux aliments et d’entreprises alimentaires qui n’offrent que des produits malsains. 

Les fermes et les entreprises alimentaires contribuent grandement à la pollution de l’air et de l’eau alors qu’elles pourraient atténuer substantiellement ces problèmes – les gouvernements savent où se trouvent les zones environnementalement sensibles, mais font peu d’efforts pour aider les fermes et les entreprises à devenir de bons gardiens de l’environnement. 

Une politique alimentaire concertée permettrait d’instaurer le cadre de travail, le mandat et le plan de mise en œuvre nécessaires pour résoudre ces problèmes et d’autres encore.

Concevoir une politique alimentaire concertée représente incontestablement un défi de taille :

  • cela concerne les recoupements entre des systèmes politiques qui, historiquement, sont divisés sur le plan intellectuel, constitutionnel et ministériel;
  • les gouvernements n’ont pas d’espace institutionnel formel à partir duquel travailler, et les instruments destinés à l’élaboration de politiques interministérielles en sont à leurs balbutiements; il n’existe pas de ministère de l’Alimentation;
  • soutenir de nouvelles approches implique la profonde confrontation de nombreuses traditions politiques bien ancrées;
  • cela implique de devoir affronter les coûts réels des systèmes conventionnels qui touchent l’alimentation, la santé, l’économie et le social;
  • cela implique de ne pas seulement considérer les aliments comme des denrées commerciales, ce qui crée des problèmes pour certains ministères;
  • cela remet en question plusieurs des principes fondamentaux étayant le paradigme actuel en matière de développement agricole et économique, en plus de remettre en cause le système de santé qui met l’accent sur la guérison plutôt que la prévention.

La bonne nouvelle, c’est que l’approche concertée n’a rien d’inédit pour le Canada; il l’a déjà appliquée durant la Deuxième Guerre mondiale. À cette époque, les gouvernements ont reconnu que le marché allait s’effondrer, et ont donc mis en place une vaste panoplie de programmes et de réglementations afin d’assurer un niveau de santé élémentaire à la population et de respecter nos obligations en matière d’approvisionnement alimentaire des alliés durant la guerre. Dans ce contexte, nombre de nouveaux mécanismes de gouvernance ont été créés, engendrant un intense climat collaboratif entre le gouvernement, le secteur privé et les ONG. De tels mécanismes de gouvernance ont été essentiels à la conception et à la mise en œuvre des interventions. Malheureusement, la plupart de ces mécanismes ont été démantelés juste après la fin de la guerre. 

L’un des moyens de reprendre le bon chemin consiste à mettre sur pied un conseil de la politique alimentaire (CPA). Il existe déjà à l’échelle du pays des dizaines de conseils similaires qui agissent aux paliers municipal et provincial. Un conseil de la politique alimentaire constitue un lieu où les parties prenantes, qui ont normalement peu d’occasions de se parler, peuvent se rassembler pour proposer des solutions aux problèmes chroniques qui affectent le système alimentaire. En étant bien reliées au gouvernement, ces parties prenantes peuvent aider les représentants élus et non élus à trouver des moyens d’agir selon des scénarios où tout le monde y gagne. La structure, les effectifs et le budget envisageables pour un tel organe ont déjà été mûrement réfléchis par la chercheuse Sasha McNicoll. Je souhaite donc que le nouveau gouvernement agisse rapidement pour créer un CPA national, qui aura pour mandat de proposer une politique alimentaire concertée pour le Canada, et qu’il prête main-forte à sa mise en place. 

Le Dr Rod MacRae est professeur adjoint à la Faculté d’études environnementales de l’Université York. Ses travaux de recherche se concentrent sur la conception d’une politique nationale pour l’agriculture alimentaire au Canada, ainsi que sur l’ensemble de programmes cohérents et exhaustifs requis pour soutenir une telle politique. 

Écoutez le webinaire organisé par le Réseau pour une alimentation durable datant du 25 septembre 2015 dernier pour en apprendre davantage sur: Un conseil de la politique alimentaire pour le Canada.