Un regard légal sur la politique alimentaire: Conférence Prenons la mesure 2017

Mercredi, 15 novembre, 2017 - 17:06

Au début du mois de novembre, une communauté émergente de professionnel-le-s provenant du milieu universitaire, du droit et de la communauté s’est rassemblée à Ottawa pour la conférence Prenons la mesure - le deuxième colloque annuel en droit et politiques publiques agroalimentaires. Avec le développement d’Une politique alimentaire pour le Canada par le gouvernement fédéral, le temps est propice à réfléchir sur les contextes légaux, régulatoires et politiques qui encadrent notre système alimentaire et les valeurs qui y sont incluses - ou excluses.

Une politique alimentaire pour le Canada

Après un été de consultations publiques pour Une politique alimentaire pour le Canada, où en sommes-nous rendus? Le panel d’ouverture du colloque était axé sur ce thème et quatre personnes ont été invitées à se prononcer sur le sujet: Diana Bronson, directrice générale du Réseau pour une alimentation durable (RAD) ;  Beth McNeil, directrice générale d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) ; Don Buckingham, PDG de l’Institut canadien des politiques agroalimentaires (ICPA) ; ainsi que Dre Priscilla Settee de l'Université de Saskatchewan et membre de la Première nation de Swampy Cree.

Dans son discours, Diana Bronson a rappelé que le droit à l’alimentation (document uniquement en anglais) devrait être au coeur d’une politique alimentaire nationale, affirmant que le Canada n’a pas seulement une obligation légale internationale d’implanter le droit à l’alimentation (article 11, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), mais également morale avec plus de quatre millions de Canadien-ne-s vivant dans l’insécurité alimentaire.

Beth McNeil a offert une mise à jour concernant les progrès gouvernementaux qui ont suivi les consultations publiques de cet été. Parmi les modifications énoncées, la référence à “nourriture abordable” dans le pilier accès à des aliments abordables a été remplacée par “sécurité alimentaire”, en plus de la reconnaissance que le revenu d’un individu est un élément fondamental dans son accès à une alimentation saine. Autre bonne nouvelle, elle a également confirmé que l’implantation d’un mécanisme de conseil inclusif sera envisagé sur le long terme. Le RAD fait campagne sur ces points depuis des années, et notamment en ce qui concerne la création d’un conseil de politique alimentaire national qui reconnaîtrait l’importance de la sécurité alimentaire.

Mais est-ce qu’une politique alimentaire cohérente pourrait être livrée pour la date limite de mai 2018? Don Buckingham a, quant à lui, exprimé ses préoccupations concernant la délivrance d’une politique alimentaire pour cette date. Il se demandait également comment il serait possible de trouver un équilibre entre les quatre piliers - l’accès à la nourriture, la santé, l’environnement et la croissance - depuis l’établissement d’un budget ambitieux de $20 milliard pour la croissance en agriculture.

Ensuite, Dre Priscilla Settee a parlé de politique alimentaire dans un contexte d’engagement vers la vérité et la réconciliation. Selon Dre Settee, la politique alimentaire est, à la base, une lutte de rapports de pouvoir dans laquelle les communautés autochtones ont beaucoup souffert depuis l’arrivée des premiers colonisateurs. Selon elle et d’autres conférencier-ère-s, l’approche dominante du système alimentaire actuel est basée sur une vision binaire du monde qui place les humains au-dessus de toutes autres formes de vie, au grand dam de celles-ci. Faisant partie d’un engagement pour la Vérité et la Réconciliation, il nous a été proposé d’adopter un point de vue plus holistique vis-à-vis de la planète, vision qui est également partagée par de nombreuses communautés autochtones.

En réponse à une critique robuste de l’omission des genres dans la politique alimentaire, les conférencier-ère-s du panel se sont mis d’accord pour affirmer que la politique alimentaire est genrée à plusieurs niveaux et que cet élément est très important. De plus, McNeil a révélé que 75% des répondant-e-s du sondage en ligne de l’AAC étaient des femmes et que 3 personnes sur 4 sur le panel sont des femmes.

Le droit à l’alimentation: déjà 5 ans depuis la mission du Rapporteur spécial de l'ONU

Un autre panel de ce colloque a exploré la manière dont la justice alimentaire et le droit à l’alimentation ont progressé depuis le dépôt du rapport d’Olivier de Schutter, ancien Rapporteur spécial de l’ONU, en 2012. Ces cinq dernières années, le Canada a signé deux accords internationaux pour soutenir le droit à l’alimentation : l’Accord de Paris sur les changements climatiques qui vise, entre autre, à améliorer la sécurité alimentaire en face des changements climatiques et à mettre un terme à la faim ; et la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones.  Aussi, la professeure Jackman de l’université d’Ottawa a défendu la section 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, stipulant que celle-ci a déjà intégré le droit à l’alimentation dans ses fondements. La garantie d’offrir le “droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne” est simplement incompatible avec la situation des Canadien-ne-s qui ont faim. Malgré certains revers juridiques récents, elle avançait qu’une stratégie basée sur “la sécurité de la personne” plutôt que sur le bien-être social pouvait tout de même fonctionner.

Aperçu des panels et des ateliers

  • Connexion entre l'alimentation et la santé

Notre système d’alimentation industrielle rend les gens malades! Telle est la conclusion centrale du rapport récent d’IPES-Food Dénouant la connexion entre l'alimentation et la santé, exposée par son auteure principale, Cecilia Rocha. Elle a expliqué que, parallèlement aux sujets prévus, tels que l’insécurité alimentaire, l’obésité, la contamination environnementale et les aliments dangereux, les auteurs ont constaté que les accidents du travail le long de la chaîne alimentaire tuent ou rendent malades beaucoup trop d’agriculteur-trice-s, de pêcheur-euse-s et de travailleur-euse-s. À titre d'exemple, plus de 200 000 décès sont comptabilisés chaque année pour une intoxication aiguë aux pesticides.

  • Alimentation saine ou bonne alimentation?

Les règlements devraient-ils assurer que les aliments soient « sains » ou « bons » ? Sarah Berger-Richardson, de la Faculté de droit de McGill, a soutenu que la recherche d’une « alimentation saine » représente un objectif moins neutre et moins utile qu’il n’y paraît à première vue. L’approche d’une « bonne alimentation » laisse plus de place pour effectuer un examen basé sur les perspectives sociales, culturelles et contextuelles, aux côtés de la science. Tout en reconnaissant pleinement qu’elle a sauvé de nombreuses vies, la science est également un espace contesté de pouvoir et de valeurs compétitives, et ce, beaucoup plus qu’on le suppose généralement.

  • Les travailleurs migrants - le coût humain

L’avocat Shane Martinez, du groupe Justice for Migrant Workers, a expliqué que les travailleurs migrants sont impliqués dans la production de presque tous les fruits et légumes cultivés et vendus au Canada. Malgré cela, ces travailleurs n’ont aucune liberté syndicale et peuvent être sujet du rapatriement immédiat. Ils endurent des conditions de travail dangereuses, vivent souvent dans des conditions déplorables, paient des prestations d’assurance-emploi sans pouvoir en bénéficier, et font face à du harcèlement. Il a également avancé que ces travailleurs migrants sont liés par contrat et que tant que leur statut “temporaire en permanence” ne sera pas modifié, il ne pourra pas y avoir de justice dans notre système alimentaire.

  • Les droits des animaux - le coût humain

L’avocate Camille Labchuck, de l’organisme Animal Justice, s’est prononcée au sujet des 771 millions d’animaux terrestres qui sont mis à mort chaque année au Canada sur des fermes non réglementées par le niveau fédéral. Nous sommes présentement en train de réviser la réglementation du transport à l’abattoir, mais les changements proposés ne sont pas suffisants pour assurer une qualité de vie respectable à ces animaux. De plus, Labchuck a noté que les indications du bien-être et de la santé des animaux sur l'étiquetage des aliments ne sont toujours pas réglementées et peuvent rendre les consommateur-trice-s confus-e-s. Elle espère néanmoins que la révision du Guide alimentaire canadien va encourager une plus grande consommation de protéines végétales afin de réduire notre dépendance à la viande.

Et ensuite?

Ce deuxième colloque a été un grand succès et avec un troisième qui est prévu au Québec prochainement, il y a sans aucun doute un élan pour créer une association nationale du droit et de la politique alimentaire. Pour plus d’information, veuillez contacter conference@foodlaw.ca et voir #takingstock2017 sur Twitter.